mardi 30 août 2011

- Entretien avec un Ange -





- Entretien avec un Ange -




Quelques mois plus tôt, au milieu de la plaine des Anges, non loin du lac des Conceptions...

***


Elle s'approcha, silhouette translucide évoquant l'enveloppe charnelle qu'elle possédait sur Terre, cependant revêtue d'une tunique blanche, les cheveux lâchés.
« Bonjour ! »
L'Ange, occupé à observer l'un de ses « œufs » lui répondit tout d'abord d'une voix monocorde :
« Bonjour, Cliente Laurine... Mais... Mais que faites-vous ici ?! »
A présent totalement sonné, il l'observait d'un œil affolé, ce qui ne parut pas décontenancer la jeune fille.
« J'ai trouvé comment venir dans le territoire au-delà de la montagne de lumière grâce à vos écrits, Ange Michael Pinson. »
« Mes écrits ? »
« Bien sûr, avez-vous oublié avoir écrit les « Thanatonautes » durant votre précédente vie de chair ? »
« Oui mais euh... Comment... »
« Ne cherchez pas trop à comprendre, je suis là, voilà tout. Je suis venue pour quelque chose de précis. »
« Vous ne devriez pas être là. Repartez ! »
« Non, pas tant que je n'aurais pas obtenu ce que je suis venue recevoir. »
« Recevoir ? »
« Parfaitement. Je sais que je suis l'une de vos clientes, Ange Michael. »
« ... »
« Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas donner lieu à une quelconque querelle. Je viens simplement quémander quelque chose qui me tient à cœur. »
« Pourquoi ne l'avoir pas formulé en prière, comme d'habitude, alors ? »
« Parce que c'est trop important... et je voulais voir un peu comment c'est, chez vous. »
« Vous l'auriez vu lorsque votre temps serait arrivé ! »
« Oui, mais le temps est un gros capricieux, et il ne fait jamais les choses comme il faut sur Terre. Puis de toutes façons, je suis là, c'est trop tard. Vous allez écouter ma requête ? »
« Je n'ai pas le choix, je crois... »
« On peut discuter à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes ? »
L'Ange l'invita à le suivre près d'arbres aux feuillages baignés de lumières de toutes les couleurs, non loin d'un ruisseau dont le chant envoûtait le moindre cœur pris dans ses filets...
« Alors, que voulez-vous ? » demanda l'Ange d'un ton tiraillé entre la colère et la curiosité.
« Je suis venue vous demander de m'accorder l'une des plus grandes choses au monde. La plus grande, même. »
« Mais encore ? »
« L'amour. »
« Pardon ?! Pourtant, l'amour, vous en avez dans votre famille, à travers vos amis, vos points de Karma l'ont permis, pourquoi n'en profitez-vous pas ? »
« J'en profite, j'en profite, mais je parle d'un autre amour, et vous le savez fort bien. »
L'Ange déglutit. Si on lui avait dit qu'une humaine, bien vivante, parviendrait jusque-ici, et oserait se pointer pour passer « commande » directement auprès de lui, il ne l'aurait jamais cru... La jeune fille poursuivit, prise dans son élan :
« J'estime avoir assez trinqué jusque-là et que mes souffrances me donnent droit à un peu de bonheur, vous n'êtes pas d'accord ? »
« Si, si mais... Ce genre de chose ne se fait pas en un jour, vous savez ! »
« Mon œil ! Vous êtes un Ange, et vous pouvez très bien aller voir chez vos collèges s'il n'y aurait pas parmi leurs œufs quelqu'un qui me convienne. »
Se prenant au jeu, l'Ange Michael répliqua d'un air amusé :
« Et peut-on savoir quel genre d'homme vous conviendrait ? »
« Oh, c'est très simple. »
« En amour, rien n'est simple. »
« Je vous en prie, trêve de sermon, j'apprendrai bien assez vite toutes les perles de sagesse que vous voudriez m'enfoncer dans le crâne ! »
« Bien dommage, car je crois que même si je les enfonçais vraiment, vous seriez capable de les ignorer quand même ! »
« Très aimable pour un Ange Gardien, tiens ! »
Ils s'observèrent un instant, regards mêlés, avant d'éclater tous les deux de rire. L'Ange Michael dut bien lui concéder :
« Il y avait bien longtemps que je n'avais eu de conversation aussi... dynamique. Merci pour cela, mademoiselle. »
« De rien, je savais que j'avais plusieurs bonnes raisons de monter aux pays des Anges. On se penche sur ma demande maintenant ? »
« Oui. Donc, quel genre d'homme dois-je vous trouver ? »
« Je commence par les qualités ? »
« C'est une idée. Mais sachez bien qu'il aura tout de même des défauts, l'homme parfait n'existe pas, sinon, on ne le renverrait plus sur Terre ! »
« Je sais, je ne veux pas l'homme parfait, je veux un homme parfaitement fait pour moi. »
« Déjà plus facile à trouver que l'homme parfait, néanmoins cela me semble toujours très difficile, mais j'essayerai. Je vous écoute. »
« La première qualité, je dirais l'honnêteté. »
« Pourquoi ? »
« J'ai trop souffert de ceux qui ont brisé ma confiance. Il vaut mieux toujours une vérité, quoique douloureuse, que le silence mensonger. »
« Bien. Ensuite ? »
« Hum... la liste « Beau, intelligent et drôle » est un pack très cliché. Pour la beauté, ce serait plutôt celle qui se révèle au fur et à mesure. Une beauté intérieure, surtout. Intelligent, oui. Drôle, c'est le bonus que je ne refuserais pas, l'humour est souvent un reflet d'intelligence donc, on peut dire que ça va ensemble. Il faudrait peut-être ajouter des choses un peu moins « banales »... »
« Comme ? »
« Quelqu'un qui puisse s'accorder à mon univers sans s'y noyer. En fait, si on pouvait résumer, il me semble que l'homme parfaitement fait pour moi serait à la fois mon complément - donc opposé par certains points afin de m'équilibrer - et mon confident car le dialogue est la base de tout : j'ai besoin de pouvoir me livrer entièrement, et aussi... »
« La liste commence à être longue, doucement ! »
« Pas grave, je suis certaine qu'il existe. On est fait pour vivre à deux, non ? »
« C'est une des perles de sagesse que vous avez refusé de voir enfoncée dans votre crâne, je ne peux pas répondre, désolé. » répondit l'Ange d'un air aussi compatissant qu'ironique. 
« Ça m'aide beaucoup, mais je vais prendre ça pour un oui. Bref. Je continue avec les qualités. Il lui faudrait aussi une bonne dose de courage, et en plus, de la patience. Énormément de patience ! Je peux facilement faire tourner en bourrique, malgré moi parfois. »
« Hum... Je pense que ça suffira, il me semble avoir assez d'indications pour vous trouver celui que vous cherchez. »
« Alors il existe, n'est-ce pas ? »
« Vous accepteriez que je vous enfonce cette fameuse perle de sagesse finalement ? »
« Allez-y, je n'ai pas d'enveloppe de chair, je ne risque rien ! »
« Oh, c'est ce que vous croyez. »
L'Ange s'approcha soudainement d'elle, passa une main immatérielle sur son front et ferma les yeux. Le contact se fit à travers un fil multicolore qui s'éveilla entre leurs deux esprits.
Ainsi, la voix de Michael Pinson se mit à résonner en Laurine :

« Deux âmes pour une vie,
Deux corps pour une même harmonie.
Deux êtres qui, au bout du chemin,
Ne font plus qu'un.
Ce que les étoiles ont lié,
Nul ne peut l'oublier.
Que l'Homme sache cette chose vraie depuis toujours,
Il est né pour l'Amour. »

Les mots se diluèrent en elle, forts de la vérité qu'ils incarnaient, et tout aussi doux que le message qu'ils apportaient.
Un même sourire éclairait leurs visages lorsque la main de l'Ange se détacha de la jeune fille.
« Merci. »
La voix de Laurine s'éleva avec émotion, les yeux embués de larmes qui ne pouvaient pas prendre corps.
« Tout le plaisir fut pour moi. Mais, à présent que vous retournez sur Terre, j'aurais une dernière question. »
« Bien sûr, je vous écoute. »
« Comment êtes-vous parvenue jusqu'au pays des Anges ? »
Un éclat malicieux et gêné en même temps s'alluma dans le regard de la jeune fille.
« Nous savons tous les deux que même de mon « vivant » je n'ai jamais pu arriver au pays des Anges sans... mourir, justement. Comment avez-vous alors fait ? »
« L'Ange Gabriel n'a pas été facile à convaincre, je vous l'accorde. »
« Parce qu'il a finit par vous laisser passer sans... sans faire la pesée des âmes ?! »
« Oui. »
« Mais... Mais... Comment... ! »
« Il a suffit que je lui prouve que j'avais une bonne raison de passer. »
« Quelle raison peut-elle être à la hauteur d'une telle demande ? »
« Et puis... Il m'a quand même jaugée, d'une certaine façon. »
« Je ne comprends rien, expliquez-vous plus clairement ! »
« Quand je suis arrivée devant lui, j'ai exprimé mon désir de venir vous demander de me trouver mon... mon compagnon. Les autres Anges ont éclaté de rire, pas lui. Il a fait quelques pas en avant et une fois face à moi, il m'a regardée intensément. Et il a sourit. Lorsqu'il a annoncé que je pouvais passer, juste le temps de vous rencontrer, les autres sont restés complètement sidérés. Enfin, j'ai passé la montagne de lumière en entendant sa voix en moi :

« L'Amour est Lumière.
L'Amour est Vie.
L'Amour est la clef de l'Univers.
L'Amour, à jamais, sera le seul sauf-conduit valable à travers les âges.
Car, même avant de le connaître,
Tu l'aimes déjà. »

« Ainsi, s'il vous a laissée passer, c'est que... »
« J'aime déjà celui que vous allez trouver pour moi. »
« Parce que quelque part... »
« Je l'attends, et il est déjà en moi. »
Il y eut un silence respectueux, lorsque Laurine se décida à faire demi-tour.
« Merci pour tout, cela m'a fait plaisir de vous rencontrer. »
« Je vous avoue que je ne suis pas prêt de l'oublier. Même si je suis bien votre Ange Gardien et que je vous suis depuis le début, jamais je n'aurais cru possible une telle chose. »
« Bien contente de vous avoir surpris, alors ! »
Ils se sourirent une dernière fois, et la jeune fille s'en alla, pour passer à nouveau à travers le rideau de lumière éblouissant.
Une fois seul, l'Ange Michael soupira.
Il posa les yeux sur la liste qu'il avait inscrite directement dans son esprit, cela le fit rire.
La vie sur Terre lui manquait parfois, mais Laurine lui avait permit de retrouver goût à certaines choses.
Déterminé à satisfaire sa cliente, il partit de son côté à la recherche de celui qu'elle attendait.

***

Quelques mois plus tard...

« Vous êtes bien sur le répondeur de l'Ange Michael Pinson, laissez un message après la cloche céleste, je vous rappellerai dès que possible. »
« Salut Ange Michael, c'est Laurine ! C'était pour vous remercier. Oui, je sais, je suis encore en train de faire quelque chose de pas... légal ? Mais tant pis, je me sers d'un de mes rêves pour vous transmettre toute ma reconnaissance. Il est là, ça y est, je l'ai rencontré. Je ne l'avais pas imaginé ainsi mais, je ne peux que reconnaître le fait qu'il est absolument comme je l'avais demandé. Vous avez fait du bon boulot, bravo ! Je pense que la suite n'appartiens qu'à nous mais, je sais que de là-haut, vous nous observez, alors vous devez être déjà au courant... Oh et puis zut ! Je voulais le faire donc je le fais : merci !!! Voilà... Passez euh... une bonne existence angélique ? Et s'il vous plait, une dernière chose... Aidez-nous à faire en sorte que ça dure, d'accord ? Allez, je vous laisse, je vais bientôt me réveiller pour le rejoindre ! Encore merci ! Bisous Terriens ! »

Fin du message spirituo-vocal.

***

Début d'une autre histoire...



- Bataille -











Je m'écrase au sol.
Le mouvement de mon corps est assourdissant, quelques côtes se fendent sous l'impact.
Je n'ai pas le temps de reprendre ma respiration, mon crâne est d'un coup ferme maintenu contre la morsure sèche de la terre, par le pied d'un lourd guerrier.
Il semble déverser tout son poids sur ma trempe comme s'il cherchait à briser ma tête.
J'inspire avec difficulté, gesticule sans succès, mes forces m'ont abandonnée, définitivement.
"Cesse donc de vouloir m'échapper, m'intima une voix au-dessus de moi. Il est temps pour toi de prendre conscience de ton échec, et pire encore, de ta solitude."
Seule. Seule. Seule...
Perdue. Perdue. Perdue...
J'hurle.
J'hurle à la mort.
J'hurle à la mort, ma vie.
Toujours bien en moi.
Ma rage. De vaincre. D'avancer. D'espérer le meilleur.
Je me débats encore une fois avec mon propre corps, en vain. Il ne répond plus, je suis un esprit prisonnier de sa chair.
Des larmes coulent sur les grains de terre ambrée, tandis que le ciel demeure muet.
Et toi là-haut, tu m'entends ?
Je ne suis pas morte.
Non, pas encore.
J'ai tellement à donner...
L'emprise du pied sur mon cerveau se fait plus forte. J'ai mal.
Soudain, le guerrier m'empoigne, me soulève et m'oblige à m'agenouiller, les bras pliés dans le dos, les yeux tournés droits devant moi.
La plaine de terre battue créer l'illusion d'étirer l'horizon à l'infini, pourtant, l'infini s'arrête au pied d'une falaise aussi haute que large, pour donner à l'infini une autre direction, vers les cieux.
Une cuvette.
Je suis enfermée.
Corps et âme.
Brusquement, je me rends compte de tous ces regards pesant sur moi. Derrière le guerrier s'élève une armée que nul ne peut défaire. Et moi, seule au milieu de la multitude, je m'écrase. Mentalement, cette fois.
Aucune issue n'est envisageable.
Respirer est souffrance.
Penser est souffrance.
Vivre est souffrance.
Ma bouche se déforme sur une grimace de douleur et de désespoir.
Je sens leurs yeux ancrés sur moi, me dévorant en silence, prêts à rire, prêts à m'humilier d'une manière encore plus malsaine, de me mettre plus bas que terre.
Je veux fuir. Nier ma propre existence pour ne pas à être présente à cet instant.
Soudain, le guerrier m'attrape par les cheveux et me hisse à sa hauteur, mes jambes flageolantes ne me tiennent pas debout.
Je n'arrive pas à crier. Plus de voix. Plus de souffle. Ni de courage.
Une fois mon visage presque en l'air, je peux observer plus précisément les falaises qui se dressent devant nous. Et derrière, le ciel, l'étendue bleue et sans secours.
Mon coeur appelle à l'aide.
Me voici esclave.
Me voici dépouillée de moi-même.
J'ai donné aux mauvaises personnes.
J'ai mal rien que de me l'avouer.
J'ai mal d'avoir essayé de me l'avouer.
Pourtant, j'en suis là.
Esclave d'un rien, démunie de dignité, démunie d'honneur, démunie de raison d'être aimée.
Il me laisse retomber à terre, je m'étale mollement, ombre dans l'ombre.
Mon coeur bat sa dernière partition, l'horreur est là, insoutenable, qui m'encercle et me condamne.
J'abandonne.
Presque.
Je m'abandonne presque à la mort.
Lorsque quelque chose en moi me fait sursauter.
Un rugissement terrible.
Un rugissement capable d'arracher une montagne du lieu où elle se tient.
Je tremble.
J'entends un lion rugir.
En moi.
Il ne rugit pas de désespoir, lui.
Il rugit de vie.
D'espoir.
Je m'accroche, de tout mon être, à cet ultime cri.
Ouvre à nouveau les yeux.
Rien a changé autour de moi cepandant, plus rien n'est pareil.
Respirer.
Penser.
Vivre.
Tout ce qui emporte.
J'inspire doucement.
Et tout à coup, le voile du ciel se déchire.
Toute l'armée relève les yeux vers les hauteurs, tétanisée.
Ailes brassant l'air avec puissance, regard d'un feu ardant, courbes du plus grand destrier du firmament.
Dragon.
Aussi bleu que la voûte du monde, immense comme quatre chevaux alignés les uns devant les autres, des reflets d'or jouent sur ses écailles à la couleur de l'océan, ses pattes sont repliées contre son ventre, et son visage, brillant de détermination, plonge vers le sol.
Flammèches mordorées qui dansent dans sa gueule, pendant qu'il trace sa voie au milieu de la plaine, avant de se poser sur la falaise.
Si loin et si proche de moi à la fois.
Il me regarde.
Le lion rugit à nouveau en moi, je sursaute encore, comme si un morceau de vie reprenait possession de moi.
Il me regarde.
Lorsque soudain sa silhouette devient floue, et laisse place à un homme.
Qui me regarde. Toujours.
Il est grand, porte une barbe de quelques jours qui sublime les courbes de son visage fin et l'étincelle qui rayonne dans ses yeux noisettes, le corps droit et fier, tout revêtu d'un ensemble de cuir et d'acier.
Je le connais.
Son nom résonne contre mes tempes et mon âme.
Respirer.
Un homme sur une falaise.
Tenant une arme à la main, si dérisoire face à tous ces autres, si belle lorsqu'il la lève vers les nuages.
Un signe qu'ils semblaient avoir attendu longtemps avant d'apparaître à leur tour.
Je tremble.
Le lion rugit.
D'amour.
De joie.
Je voudrais ouvrir la bouche et rugir à mon tour, qu'ils l'entendent, qu'ils entendent le lion qui tente de se relever.
Soudain, aux côtés de l'homme, s'en approche un autre.
Ses cheveux bruns sont coiffés en une crête parsemée de plumes d'argent, ses bras sont tatoués de symboles guerriers, il est armé d'un long bâton taillé dans le bois le plus dur. Il pose alors une main amicale sur l'épaule de son compagnon, leurs regards se croisent, un sourire nait.
Coeur Bleu et Regard d'Espoir.
Ils sont là.
Ils sont là pour moi.
De suite après, avance Petit Lion. Torse nu et la taille recouverte d'un ample pantalon en lin gris, il a des lignes multicolores peintes sur les joues comme les indiens, les cheveux en bataille sur son front, et un pinceau aussi haut que lui dans la main, capable de recréer des rêves sous l'impulsion de son propriétaire.
Non de lui se tient Main de la Rivière, ses mèches blondes au vent, chevauchant un oiseau sorti directement d'un de ses dessins.
Nouveau tremblement.
Je distingue Grand Ours derrière Coeur Bleu, se massant malicieusement sa longue barbe rousse décorée de perles de bois, l'air joyeux à l'idée de pouvoir bientôt s'élancer dans une bataille de légende.
Enfant Lune, l'apprenti disparu mais non oublié, a déjà dégaîné ses sabres jumeaux, silhouette sombre et fluide parmi les autres.
Petite Aile est venue aussi. Elle me sourit. Je vois ses ancêtres se placer autour d'elle, prêts à combattre à leur tour, à jamais sous leur forme d'esprits d'Aigle.
Patte Noire est debout, en première ligne, contre toute attente, il a accepté la vérité d'être un être important dans ma vie.
Juste derrière Petit Lion et Main de la Rivière, j'aperçois Regard'Onyx, Coeur de Neige, Enfant de l'Aurore, Mathilde toute parée de tissus de toutes les couleurs... En chacune d'elles flamboie une force particulière, qui finit par former une aura de lumière autour d'elles. Il y a enore d'autres présences qui brillent avec elles, mais je ne peux pas en déterminer l'identité. Ils créent ensemble un groupe compact, indivisible.
Je distingue alors Plume de Cristal, fièrement campée sur ses jambes, accompagnée de Petit Loup qui observe leurs nouveaux compagnons de combat.
Là, à côté de Regard d'Espoir, se présente Regard de Pluie, quelques plan de bataille sous le bras, cherchant Petite Aile des yeux.
Peu à peu, l'assemblée devient un trait noir sur l'horizon, de plus en plus épais.
Ils sont là pour moi.
Ils sont là pour moi.
Rien d'autre n'arrive à m'atteindre.
Et le premier d'entre eux me regarde toujours.
Ses yeux sont devenus un brasier d'amour.
Il ne semble pas appeuré à l'idée d'affronter toute une armée pour me récupérer. Il avait peur lorsqu'il m'avait perdue, mais puisqu'il m'a désormais retrouvée, il sait ce qu'il doit faire.
Le lion rugit encore.
Je pleure.
Prisonnière, toujours. Libre tout à la fois.
Il sont là pour moi.
Je ferme les yeux.
La plaine se pare d'une pelouse verte et lisse, le ciel se dégage, l'air est épuré...
Je rêve un peu, pour eux, pour moi.
Délivrance.
L'armée adverse n'a pas dit son dernier mot. Tous les soldats claquent leurs armes contre leur bouclier, faisant s'élever un terrible battement de fer.
Appel à la mort.
Le grand guerrier s'est rangé à leur tête, moi, je gis toujours à quelques mètres d'eux.
Tout s'éclaire enfin pour moi.
J'inspire.
Pose une main, puis l'autre, sur la terre, et tire sur mes jambes.
Le lion ronronne en moi.
Il est prêt.
Au loin, mes sauveurs me voient faire et m'encourage en poussant des cris de joie. Seul Coeur Bleu ne dit rien, il attend.
Je suis presque debout, ma tête tourne dangereusement, mais je continue de respirer calmement, et je finis par retrouver un certain équilibre.
Je me retourne.
Je découvre à nouveau tous mes cauchemars. Toutes mes hontes, mes blessures, mes deuils, mes abandons.
Tous là sous les traits de ceux qui m'ont un jour anéantie.
Le grand guerrier.
Je reconnais son visage à présent.
Yeux en amande, peau à la couleur caramel...
Il ose me sourire.
Il ose me sourire !
J'ouvre la bouche.
Inspiration.
Libération.
Rugissement.
Il n'est plus intérieur, il est réel.
Je rugis.
Moi, un corps décharné, une âme blessée.
Je rugis.
Touujours plus fort.
Son sourire se transforme en grimace.
Et tandis que mon cri s'élève au milieu de la plaine, j'entends derrière moi ceux des autres. Aboiements, henissements, hurlements, cris d'aigles, rugissements...
Je me redresse, le coeur battant, prête à donner tout ce que j'ai.
Et tout ce que j'ai, c'est eux.
La plaine tremble. Ils s'élancent.
Je me tiens debout et derrière moi, ils volent, galopent, courent.
Silhouette entourée.
Silhouette aimée.
Silhouette protégée.
Silhouette...
Crinière blanche illuminée par l'astre du jour, courbes félines et s'assombrissant jusqu'au bout de mes pattes, noires.
Noires, sauf une.
Ma patte droite.
Ma patte blanche.
Regard d'or. Regard de lion.
Ils sont tous sur le point de me rejoindre, l'armée d'en face, elle, est clouée au sol de terreur.
Je rugis encore une fois.
Pleinement moi-même.
Soudain, un Dragon bleu atterit à mes côtés.
Nos yeux se noient l'un dans l'autre.
Echange parfait.
Un sourire.
Un aveu.
Et lorsque nous nous concentrons sur l'instant présent, une seule pensée cernie d'une volonté incroyable nous anime.
" En avant ! "

jeudi 18 août 2011

- Lettre de la Princesse au Dragon 4 -









Mon cher Dragon,

Eh bien... Je dirais que ça va, ça ne pique pas les yeux de te voir, enfin, d'après l'image de toi que tu as joint à ton précédent message ! =) J'ajouterais même que tu es plutôt agréable à regarder, je m'attendais à pire vu tes histoires de représentations effroyables ! Oui, je confirme, le bleu te va bien ;)
C'est sûr, vous les Dragons, vous survolez les problèmes comme de simples montagnes, mais nous pauvres humains, nous sommes toujours obligés de les gravir en espérant passer de l'autre côté et apercevoir d'autres versants. Cependant peut-être que les Dragons sont de gros cachotiers et ils ne nous ont pas dit que dans les nuages, il y avait d'autres sortes de montagnes... Un Dragon peut-il avoir des problèmes ? Question très naïve je te l'accorde... Cependant vous semblez si détachés du monde, si ... libres de tout cela, que oui, je pensais et je pense encore un peu que tu es susceptible de partir, peut-être pas à tout moment, pourtant que tu pourrais perdre de l'intérêt à correspondre avec une Princesse qui ne fait que se plaindre de sa tour !
M'aider... Tu es sûr ? A mes yeux, cela signifie un certain engagement. Nous serions liés pour un temps indéfini et sûrement long si tu te risquais à plonger en moi pour épurer mon ciel de ses couleurs grises. Je dis bien risquer car, jusqu'ici, je ne l'ai permis à personne depuis des temps immémoriaux et les dernières fois ont été des échecs si cuisants que j'ai refermé la porte. Sans doute à jamais, qui sait ?
Tu me diras, un Dragon est très puissant et n'aura aucun mal à faire cela, néanmoins, ne le prends pas mal, la nuit me souffle souvent l'angoisse que même un Dragon n'y parviendrait pas... Sûrement à cause du fait qu'il faudrait, lors de cette bataille, que je sois aussi de la partie.
Une Princesse sait-elle se battre, mon cher Dragon ?
J'attends ta réponse.
C'est une bonne philosophie que de ne rien attendre de la vie... Ainsi tout ce qu'elle donne n'a que plus de goût, de fraîcheur et un côté unique. Je t'envie ton instinct, bien que je crois pourvoir dire que j'en ai un, moi aussi ! Surtout lorsqu'il s'agit de « sentir » les gens. Tu sais, ce petit pressentiment que l'on ressent aux côtés d'une personne et qui nous indique si elle pourrait être de confiance ou non.
Confiance...
Voici la clef que je te lance par dessus ma tour, cher Dragon.
Si tu souhaites entrer et m'épauler, tu en auras besoin. Comment acquérir ma confiance ? Je n'ai pas de choses précises à t'indiquer, mais il me semble que des actes forts seraient les bienvenus. Vois-tu, malgré le fait que j'aime et vis par les mots, il m'est arrivé d'avoir été trompée à travers eux. Je ne peux donc plus m'y fier entièrement, mais je sais, ne t'inquiètes pas, que les tiens sont vrais. Depuis toujours.
Alors Dragon... Je vais essayer d'accepter que tu te risques à m'aider.
Moi qui n'ai confiance en rien ni personne, je fais un pas vers toi et t'enjoins de me montrer la voie vers la liberté.
Je tiens, avant toute chose, à ce que tu ne te sentes pas prisonnier de moi. Bien qu'il puisse y avoir engagement de ta part (y a-t-il des cérémonies de serment chez les Dragons ? Pouvez-vous même prêter serment ?), je ne veux pas que tu te crois totalement responsable de moi. Je suis et je reste moi-même, indépendante oui, tout en ayant besoin d'aide. Je sais, tu l'as déjà compris, je suis une Princesse assez paradoxale !
Au fait, j'aime bien que nous soyons de deux races différentes. Même si nous nous opposons en plusieurs points, je trouve qu'ils nous permettent de nous compléter, quoique, il faut que je te l'avoue, je ne vois pas trop ce que je t'apporte, mon cher Dragon.
Car si Prince Charmant il n'y a plus, je cherche toujours le partage.
Ainsi, un baiser, pour commencer ? Tu as l'air tout embarrassé... N'en as-tu jamais reçu ? Tous les Dragons sont vieux il me semble, tu dois bien avoir connu bien plus de choses que moi, non ? Après, je comprends que ce soit indiscret, il faut dire que je ne sais même pas comment se reproduise les Dragons, certains parlent d'un oeuf qui remplace un individu qui le couve avant de mourir, d'autres que des Dragons s'allient à des Dragonnes pour toute leur vie à travers une danse spéciale dans les airs... Quelle est ta version, mon cher ?
Enfin bref... Je perçois plus ton trouble. Si cela fait longtemps, il est normal que ton cœur ait un peu oublié... Qu'il se soit endurcit, c'est plus compliqué. Bizarrement, si je n'ai jamais confiance, j'ai par contre beaucoup d'amour à donner... Or, si tu me le permets, Dragon, tu sembles en manquer un peu.
Puis, il faut que je t'avoue autre chose.
Je n'ai jamais embrassé de Dragon.
J'ai peur de m'y prendre mal mais, vu que je n'ai qu'une envie, celle de voler sur ton dos, je te promets cependant que... je ferais de mon mieux !
Pour ce qui est de se rencontrer face à face, je te concède le fait que cela sera sûrement très impressionnant pour moi et que je n'y suis pas forcément pas préparée... Je suis d'accord pour attendre encore un peu, ensuite, de toutes façons, nous avons tout notre temps, n'est-ce pas ?
C'est vrai ? Les Dragons ne sont pas tous belliqueux, râleurs et butés ? Ah, je croyais, pourtant... Mais non ! Tu es une magnifique preuve du contraire et je suis heureuse qu'il m'ait été donné de pouvoir le constater moi-même.
Quand je parlais de confiance, encore une fois, tu avais déjà tout compris. Il y a des fois où je te soupçonne de me comprendre bien plus que tu ne le laisses paraître, Dragon !
Je garderais ton secret bien au creux de mon âme, Coeur Bleu.
Croix de bois croix de fer si je mens je me transforme en vipère !
Tu fais bien finalement d'attendre aussi parce que le Roi, mon père, est le Roi Ours. Il vit dans un palais non loin de ma tour, il faut le connaître pour voir qu'il est très loin d'être méchant, mais tout de même, je sais qu'il aurait du mal à croire et à accepter qu'un Dragon vienne frapper à ma porte... Il nous faudra la jouer fine, mais j'ai quelques bottes secrètes quant à l'amadouer, ne t'inquiètes pas !

Une part de mystère.
Oui, mais tu sais Dragon, si tu es le premier que j'ai à embrasser, j'aimerais bien savoir qui j'embrasse, si cela ne t'embête pas.


Gros bisous,

Princesse.

PS :
Excellent !
J'avoue, tes arguments sont sans appel. Il me faut un Dragon.
Tu crois que tu ... ?

PSS :
Voici un portrait de moi en échange, c'est la fée que tu avais mandaté pour ta deuxième lettre qui l'a réalisé, pendant que je dormais. Elle en est plutôt fière (comme toutes les fées peuvent l'être, d'ailleurs) et je pense qu'il te plaira !


mercredi 17 août 2011

- L'Eveil du Dragon -

Ceci est une nouvelle qui m'a été offerte pour mes 19 ans par Mathilde, dont je salue la générosité et le talent.
Mêlant une intrigue à la fois basée sur celle de mon roman en cours et la nouvelle que je lui avait concocté pour ses 18 ans en février, j'ose espérer que ces personnages qui nous ressemblent étrangement, puissent toujours continuer à se côtoyer, dans la littérature, comme dans la réalité de cette belle amitié.

Enjoy !






L’Eveil du Dragon


La Rêveuse se réveilla en sursaut.
Sa nuit avait été agitée, une fois de plus, par des rêves qu’elle n’avait pas pu contrôler.
Des rêves loin des cauchemars qui avaient le pouvoir de la hanter durant des mois, mais des rêves entiers dont elle ne gardait aucun souvenir. Aucune trace. Sa frustration grandissait au fur et à mesure que les jours s’engrenaient : elle avait perdu cette magnifique faculté qu’elle avait toujours eue, celle de se souvenir avec exactitude de ses rêves. Les détails qui faisaient souvent défaut aux autres simples rêveurs étaient pour elle aussi clairs et précis que si elle avait vécu sa nuit toute éveillée. Elle se rappelait la couleur des yeux de son ennemi imaginaire, le nombre d’arbres dans lesquels elle s’était perchée… Elle avait conscience de son pouvoir depuis sa plus tendre enfance.
Et là, depuis sept longues nuits, elle avait rêvée. 
Sans se souvenir au réveil du contenu de son rêve.
Secouant sa chevelure rousse avec énergie, elle chassa le rêve le plus loin possible d’elle. Elle savait que son songe était de la troisième voire de la quatrième catégorie. Lié aux autres, elle sentait qu’il avait une signification. Pire : elle savait qu’elle pouvait se souvenir, qu’elle en était capable. Pourtant quelque chose l’en empêchait et elle ne mit pas la main dessus.
Une fois sortie de chez elle, aussi fatiguée que si elle n’avait pas dormi, elle choisit de tirer cette affaire au clair. Les rêves faisaient partie d’elle, il était donc hors de question qu’elle y renonce sans rien tenter pour les retenir. « L’homme a besoin de rêve pour avancer ». Un de ses professeurs de seconde lui avait dit cela un jour. Son statut de Rêveuse s’était imposé à elle, elle ne comprenait pas pourquoi cela changeait. 
Se laissant emporter par le flot de personnes dans la rue, elle prit sans le savoir une direction bien connue : une modeste boutique de livres dans une ruelle sombre. La libraire, une amie de longue date, était une petite jeune femme énergique et farfelue. Laurine, la Rêveuse, sut qu’elle serait en mesure de l’aider puisqu’elle était la porteuse. La porteuse de la clochette des rêves. Poussant la porte de la librairie, la Rêveuse se mit à sourire doucement : des livres s’étalaient partout dans la pièce, du sol jusqu’au plafond. Puis, Laurine aperçut une frêle silhouette derrière les piles d’ouvrages. La porteuse apparut, un imposant livre dans les bras et une paire de lunettes sur le bout de son nez. Relevant la tête de sa lecture, elle fit signe à son amie de s’avancer :
-Je suis heureuse de te revoir mon amie, comment vas-tu ? 
Sa voix, rapide et enjouée, apaisa la jeune fille qui ne s’était pas rendu compte de son agitation. 
-Je ne vais pas très bien, je te l’avoue Mathilde. J’ai besoin de ton aide, à mon tour.
-Que puis-je faire pour toi ? demanda-t-elle, anxieuse. 
Laurine parcourut les rayonnages désordonnés, tentant de mettre en lumière ce qui se passait en elle. Elle souhaitait expliquer avec clarté ses rêves dont elle ne gardait aucun souvenir. Ses yeux se posèrent sur un livre d’images relatant la quête du Roi Arthur : les combats, les princesses, la magie et les créatures enchantées… Sans savoir pourquoi, quelque chose l’interpella dans ce livre pour enfants. La voix posée de son amie la sortit de sa rêverie :
-Alors ? Qu’est-ce qui ne va pas ? 
-Je rêve, toutes les nuits comme toujours, mais je n’ai plus aucun moyen de me rappeler de mes rêves. Je n’ai plus d’emprise sur eux, ajouta-t-elle désespérée, et j’ai l’intime conviction qu’ils sont liés. Qu’ils ont un sens. 
-Un sens ? répéta Mathilde. Tu veux dire que tu fais des rêves de la troisième catégorie sans t’en souvenir ? 
La déclaration était si improbable que la jeune libraire chercha un appui. Posant le livre sur une table, elle s’assit et proposa un siège à son interlocutrice. La surprise se lisait dans ses yeux, cependant elle maitrisa sa stupeur afin de rassurer – ou tout du moins afin de ne pas alerter plus encore – son amie. 
-Donc, tu n’en as aucun souvenir ? 
-Pas l’ombre d’un.
-Peut-être que je peux te venir en aide… 
-Penses-tu que les Croqueurs de Songe aient pu me priver de mon don ? Sollicita la Rêveuse rongée par l’angoisse. 
Mathilde réfléchit un instant, titillant ses lunettes d’un geste automatique, puis sourit franchement à son amie :
-Ils en seraient bien incapable ma belle, personne d’autre que toi ne peut te priver de ton don. Je pense que tu as perdu quelque chose, ou alors, reprit-elle, je pense que tu as besoin de quelqu’un pour te retrouver. Une personne est derrière tout cela, cette personne t’empêche de voir tes rêves parce qu’ils sont la clé.
-La clé de quoi ? 
-D’une vérité, d’une situation bien réelle qui se passe en ce moment même. Quelque chose se passe dans le monde du Rêve et l’on veut te devancer afin que tu n’interviennes pas. 
La Rêveuse jaugea cette interprétation et acquiesça en silence. 
-Et de quoi veut-on m’écarter ? 
Mathilde haussa les épaules d’un geste résigné. Un éclair illumina soudain son regard et elle partit dans l’arrière-boutique sans demander son reste. Elle en revint quelques instants plus tard habillée de son manteau, un parapluie rouge à la main. 
-On sort ? proposa-t-elle d’un ton volontairement mystérieux.
-Pourquoi pas, soupira Laurine, pourquoi pas…
Une fois dehors, la pluie se mit à tomber comme si Mathilde avait prévu l’averse. Bien à l’abri sous le parapluie, les deux jeunes filles ne s’étonnèrent pas du temps capricieux en cette fin de juin, le climat n’était plus une valeur sûre. Tout comme mes rêves, se dit Laurine. Sans daigner expliquer quoi que ce soit à son amie, ni même donner un indice sur leur destination, Mathilde guida la jeune Rêveuse jusqu’à un parc qui longeait les abords du Palais de Justice. Lançant des coups d’œil derrière elle, elle semblait ne pas souhaiter être suivie. La porteuse de la clochette des Rêves avait, de mémoire d’homme, été quelqu’un d’assez imprévisible, mais Laurine ne sut pas quoi penser d’elle. Sur le point de l’interroger, Mathilde l’arrêta d’un geste de main. Ecoutant tout bruit alentour, elle se mit à crier bien haut : « Sophie ! C’est le moment de venir, j’ai besoin de toi ! » Laurine sut qu’elle invoquait une fée, puissante et sage. Pourtant, les motifs de la jeune porteuse restaient obscurs. La fée Sophie apparut finalement, le visage encadré de mèches brunes et le regard malicieux. 
-Que puis-je pour toi Mathilde ? Oh mais nous sommes en bonne compagnie ! La Rêveuse Laurine en personne… s’exclama-t-elle toute heureuse.
-Ravie de faire te revoir Sophie, dit calmement Laurine.
-On a besoin de toi Sophie, j’ai remis la clochette à sa place en février mais aurait-on le droit d’y jeter un coup d’œil ? 
La fée se gratta la tête tant la demande de la libraire lui paraissait incongrue. 
-Il me semble qu’une fois la clochette mise à sa place on n’a pas le droit d’y toucher.
-Tu comprends So’, on veut juste vérifier le contenu de quelques rêves… expliqua Mathilde.
-Oui je vois, néanmoins aucun humain ne peut aller voir jusque là-haut et je doute que je puisse descendre la clochette sans bouleverser la musique et l’harmonie qu’elle apporte. 
-Alors va écouter la musique de la clochette Sophie, déclara Laurine subitement.
-Moi ? S’étrangla la petite fée.
-Qui d’autre que toi pourrais y aller ? demanda Mathilde, tu es une fée et tu en as le pouvoir !
Sans plus de paroles, Sophie disparut aussi rapidement qu’elle était apparue et la Rêveuse se mit à espérer. Plantée au beau milieu du parc, Laurine s’assit dans l’herbe fraiche et verte et mouillée. Le sommeil la prit sans qu’elle puisse y résister et elle s’endormit sans crier gare, sous les yeux ébahis et protecteurs de son amie. Lorsqu’elle se réveilla, Sophie était de nouveau à leurs côtés et discutait avec Mathilde. Laurine râla un moment avant de se tourner vers ses amies :
-Alors Sophie ? 
Son ton colérique surprit la fée :
-Il y a un problème ? 
-Je ne me souviens pas de mon rêve, encore, répondit la Rêveuse.
-Mais moi je sais désormais quelque chose au sujet de tes rêves, dit Sophie d’un air malicieux et mystérieux. 
-Dis-moi tout ! s’écria Laurine.
Mathilde et la fée échangèrent un regard complice et Sophie commença à s’expliquer :
-La clochette sonnait furieusement tes rêves, un rêve agité et complexe. J’en ai compris que tu devais aller sauver quelqu’un, une créature qui te libérera à ton tour. Cette créature est prisonnière d’une sorcière, la Dame de Trèfle. Je n’en sais pas plus… admit-elle avec un sourire désolé.
-C’est déjà beaucoup ! répliqua Laurine. Je sais désormais où aller et quoi faire !
Mathilde à son tour s’étonna :
-Tu sais où aller maintenant ?
-Oui, souffla son amie. La Dame de Trèfle est une sorcière qui vit dans le Rêve de Louna. C’est une Rêvée, abritée dans la chaîne de montagnes des Dents de Feu, près des Terres Aewin. 
-Elle existe vraiment ? 
-Non, je viens de la rêver, je me souviens de mon rêve de cette nuit désormais. 
Sophie opina silencieusement, sachant que sa tâche était achevée à présent. Sa silhouette devint floue, puis, avec un ultime sourire rempli de malice, elle disparut. Promettant de revenir dès qu’une des deux auraient besoin d’elle. Mathilde prit la main de Laurine, et la ramena chez elle. Là elle la regarda tendrement :
-Tu dois dormir maintenant Laurine, dors et va retrouver ton rêve, va là-bas.
La Rêveuse acquiesça et s’endormit, immédiatement. 

 ***

Le Rêve est un univers à lui tout seul. 
Modulable, malléable et réel au-delà de la simple pensée. 
Laurine, capable de pénétrer à l’intérieur du troisième et du quatrième cercle du rêve, s’aventura dans des terres inconnues. Au cœur du monde qu’elle avait visité grâce à Louna, elle se réveilla au pied de la chaîne des Dents de Feu. Elle n’y était jamais allée auparavant. Monts aussi escarpés que les Dentelles Vives, elle frissonna en sentant son propre corps : d’ordinaire, elle ne fréquentait jamais son Rêve elle-même. Quelque chose ne tournait décidemment pas rond dans ce rêve-là, comme si elle avait quelque chose à faire par elle-même. Sentant la solitude peser sur ses frêles épaules, Laurine inspira profondément avant de partir à la recherche de la sorcière : la Dame de Trèfle. Rien ne lui indiquait son repère mais une petite voix lui soufflait les réponses à ses questions et elle entama la route vers sa cachette. Vêtue d’un jean et d’un tee-shirt, elle prit froid à mesure qu’elle grimpait. Heureusement, au détour d’un col situé à une centaine de mètres au-dessus du vide, elle l’aperçut.
La Cité de la Dame de Trèfle.
Citadelle vertigineuse de verticalité, elle côtoyait les nuages et tutoyait le Soleil. 
Laurine déglutit avant de reprendre son chemin et avança jusqu’aux pieds de la forteresse. La sorcière s’attendait-elle à sa venue ? Que devait-elle faire à présent ? Réfléchissant aussi vite que possible, la Rêveuse se força à se calmer. La situation n’était pas critique, elle parvenait à son but et devait désormais faire preuve de courage afin de braver le danger. Son instinct la guida jusqu’à une cavité, une bouche d’égout du château sans aucun doute. Elle s’y engouffra avec une grimace dû à l’odeur, mais heureuse que la chance continue à lui sourire. Parvenue dans un dédale de couloirs humides et sombres, Laurine ne tarda pas à se perdre. Elle perdit également la notion du temps et se recroquevilla un instant sur le sol, démoralisée et fatiguée. Les larmes lui montèrent aux yeux et elle se laissa aller… 
-Bonté divine ! Quelle est cette puanteur ! 
La voix qui s’était ainsi exprimée n’était autre que Sophie la fée, parvenue jusqu’à la Rêveuse. Celle-ci se releva d’un bond et le sourire lui revint aux lèvres.
-Comment m’as-tu retrouvée ? Le rêve n’est pas censé t’être accessible Sophie, s’étonna-t-elle.
-Comment ça ? répliqua la fée. Je suis là parce que tu m’as appelée pardi !
-Ce rêve est décidemment vraiment très étrange, conclut Laurine, mais peut-être peux-tu m’aider à nouveau ?
-Te faire sortir de ce trou à trodds ? Oui, ça je peux faire sans problèmes ! 
L’assurance de la fée fit oublier à Laurine tous ces problèmes et elle attendit des instructions. 
-Bon, d’abord je viens de la salle du trésor où la Dame de Trèfle compte ses sous comme une vraie avare… Il n’y a aucun serviteurs, pas de gardes non plus ce qui est inquiétant. Mais venant de Morgane rien ne m’étonne… grommela la petite Fée. 
-Morgane ? reprit Laurine. 
-Bah oui, Morgane la sorcière, la Dame de Trèfle, la maitresse de ses lieux, l’horreur qui sert de maitre à ce château de l’enfer, l’affreuse méchante qui retient la créature prisonnière, la maléfique magicienne des Temps Anciens… 
-Tu dis alors qu’elle s’appelle Morgane, pourtant ce n’est pas un nom Ignotalïs, ni un nom d’Aewin… D’où vient-elle alors ? 
-De ton imagination je dirais, répondit Sophie avec simplicité.
-Bon, et où se trouve la créature à sauver ? demanda la Rêveuse sans se formaliser de l’imprécision de cette réponse.
-Suis toujours ton cœur et ton instinct, ce sont deux choses qui ne trompent pas, souffla Sophie. Et au besoin, je te confie Leeloo, juste au cas où… ajouta-t-elle avec un sourire.
Sur ces paroles, elle confia à la jeune femme son pendentif en forme d’éléphant blanc qu’elle avait l’habitude de porter toujours autour de son cou. 
-Mais surtout prend en soin.
Avec un dernier clin d’œil, Sophie disparut à nouveau et Laurine se retourna vers un couloir sombre le sourire aux lèvres. « C’est par là » chuchota-t-elle dans l’obscurité.
Elle parcourut longtemps les catacombes du château avant d’entendre du bruit juste au-dessus d’elle. Un grillage laissait passer de la lumière et une voix s’élevait, une seule. Laurine tendit l’oreille et jeta un coup d’œil par la grille. Une femme se tenait dans la pièce gorgée de lumière : assis fièrement sur un tas d’or, elle semblait plus agacée qu’autre chose. La Rêveuse vit qu’elle lui tournait le dos et, lentement, elle souleva le grillage et le fit basculer afin de pouvoir passer. Elle se glissa aussi rapide que le vent dans la grande salle du trésor et se cacha derrière un pilier couleur or qui s’élevait jusqu’au plafond voûté de la pièce. Laurine écouta enfin ce que la sorcière déclamait d’une voix perchée et cassée :
-Mon petit prince, mon beau roi va mourir et cela très prochainement je m’y engage. Oui je le promets, je t’enfermerais comme j’ai enfermé ton monstre tu verras ! 
Tout en caressant ses pièces d’or, la Dame de Trèfle laissait sa tête aller d’avant en arrière, comme si elle dormait et parlait dans son sommeil. Laurine la détailla : elle était grande, élancée et ses cheveux noirs corbeau encadrait un visage angélique. Ses yeux, mi- ouverts, étaient d’une couleur or effrayante d’étrangeté. Sa robe, un grand assemblage de tissu, était noire et des trèfles rouges étaient brodés dessus. Morgane, puisque tel était son nom, se releva subitement et se tourna vers le pilier où s’était dissimulée Laurine. La sorcière éclata de rire sans prévenir et s’avança d’un pas majestueux. La Rêveuse ne put se cacher plus longtemps et fit face à la sorcière :
-Ainsi, Laurine la Rêveuse en personne me fait l’immense honneur de sa visite, déclara Morgane tout en faisant une révérence ironique et moqueuse.
-Je cherche la créature que tu retiens prisonnière, Morgane, Dame de Trèfle et sorcière maléfique.
Le ton décidé de Laurine n’était que factice et elle eut le plus grand mal à se retenir de partir en courant. Le visage parfait de la sorcière était pâle et fermé, le regard dur, elle était monstrueuse de puissance et de cruauté. Elle semblait incapable de se retenir de rire et elle ricana devant l’assertion de la Rêveuse. 
-Ne cherche pas plus loin Rêveuse, tu ne trouveras que la mort au bout du chemin. 
-J’ai besoin de retrouver cette pauvre créature, affirma Laurine.
-Toi ? Avoir besoin de quelque chose ? Gloussa la sorcière. Tu n’as besoin de rien ni de personne… à moins que… à moins que tu ne contrôles plus ton rêve ma chère ! 
Un sourire dur s’étira sur les lèvres de Morgane, heureuse d’avoir percé le point faible de son ennemie. Un éclat de rire perça entre ses lèvres pleines et parfaites. 
-Et je n’étais pas prévue non plus, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle. Je ne viens pas des terres Ignotalïs, je viens de ton monde réel. Je suis un personnage de légende et non une Rêvée…
-Que veux-tu dire ? Articula Laurine qui recula de peur.
-Tu as perdu ton pouvoir ! cria Morgane. Je suis la sœur d’Arthur, magicienne maudite celte. Je viens de ton imagination et tu n’as plus aucun contrôle sur tes pensées et tes rêves !
Son rire se joignit à ses interprétations et elle bascula la tête en arrière, ne retenant plus sa joie. Laurine recula encore jusqu’à toucher l’extrémité de la pièce remplie d’or. Une haute grille bardée de fer l’empêcha d’aller plus loin et, acculée ainsi, la Rêveuse se trouva désemparée. Puis, doucement, une tiédeur l’envahit au plus profond d’elle. Une certitude prit possession de son esprit : la créature enchantée l’appelait. Celle que Morgane détenait lui lançait un appel au secours, lui révélant sa position.
Instinct et passion.
Mêlées au génie.
Laurine sortit de la poche de son jean le pendentif de la fée Sophie, représentant l’éléphant blanc salvateur. Elle le jeta devant elle en hurlant à pleins poumons :
-Vas-y Leeloo ! A toi de jouer !
Morgane était à terre, tordue de douleur par un fou rire qu’elle ne pouvait retenir. Elle se releva subitement et fit quelques pas en arrière, de peur d’un maléfice de la Rêveuse. Elle vit apparaitre un éléphant haut de plusieurs mètres devant ses yeux. D’un mouvement habile de la trompe, il hissa Laurine sur son dos et prit l’élan nécessaire pour défoncer ni plus ni moins la grille qui la retenait captive de la Dame de Trèfle. Celle-ci, abasourdie, se lança à leur poursuite désespérément en voyant la situation lui échapper.
Laurine jubilait.
Le Rêve lui échappait, à elle, la Rêveuse compétente et apte. 
Et cela lui plaisait. Loin de l’effroi qu’elle avait d’abord ressenti, elle se sentait désormais libre et suivait quelque chose de plus puissant que sa raison, elle se laissait guider par son cœur. Leeloo chargeait le long des grands couloirs tapissés de noir et de trèfles écarlates. L’éléphant semblait comprendre les moindres désirs de la jeune fille et les anticipait. Les cris de la sorcière retentissaient derrière eux mais ne les menaçaient pas. Plus maintenant. 
L’animal s’arrêta devant une cellule particulièrement imposante. La grille était renforcée, sûrement par précaution, et l’éléphant mit en pièce le formidable assemblage de métal en un coup de défense. Laurine se glissa dans la prison sans appréhension. L’obscurité l’obligea à avancer à tâtons afin de parvenir jusqu’à la créature sortie des légendes du Roi Arthur et de la Quête du Graal. 
La créature.
Monstre et mythe à la fois.
Laurine ne s’y attendait pas. 
C’était un jeune homme. De son âge à peu près, brun et terrifié par l’animal derrière lui, il regardait la jeune Rêveuse intensément. Son cœur s’emballait à mesure qu’elle s’approcha de lui, jusqu’à prendre sa main afin d’être sûre. Etait-il un Rêvé ou une personne réelle qu’elle rêvait ? Qui était-il vraiment ?
Sophie avait parlé d’une créature mythique, elle ne pouvait s’être trompée… 
Les pensées de Laurine s’entrechoquaient tandis que le garçon lui prit les mains et l’entrainait vers l’unique lucarne de sa prison de pierre. La Rêveuse interrompit ses calculs et ses interrogations lorsqu’un bruit sourd provenant de derrière elle se produisit. D’un regard, elle vit le pendentif en forme d’éléphant blanc suspendu au cou de Morgane qui l’avait rattrapé et avait éjecté l’animal de la fée. Elle jeta avec mépris le collier aux pieds de Laurine qui le récupéra avec soin.
-Vous êtes piégés, cracha-t-elle avec mépris à l’attention de la Rêveuse autant que pour le jeune homme.
Elle pouffa de rire en voyant leur air apeuré et démuni et ricana encore sans se soucier d’eux. 
-Tu as confiance, Laurine ? demanda-t-il, ignorant les menaces de la Dame de Trèfle.
-Comment ? 
-Tu as confiance en moi ? répéta-t-il.
Son regard se fit perçant et la jeune fille ne put qu’acquiescer. Son cœur se mit à battre plus fort encore et le jeune homme se tourna vers le mur. Il mit les mains de Laurine sur ses épaules et sauta par la petite ouverture située en hauteur. N’importe qui aurait été incapable d’atteindre la lucarne, lui trouva facilement une prise et fit sauter les gonds de la fenêtre. Les hurlements de Morgane n’y firent rien, il sauta dans le vide de la vertigineuse citadelle.
Le vent fouettait le visage de Laurine qui ferma les yeux, cramponnée à son sauveur. Celui qu’elle était venue délivrer. Tout son corps parut s’engourdir sous le choc de la chute et elle se laissa totalement aller. Elle s’évanouit.

***

Le Rêve est un univers à part entière.
Pour la majorité des rêveurs, il n’est qu’un lieu de paix et de fantasmes. 
Pour une petite partie d’entre eux, il est plus que cela, bien plus. Il est alors une bulle, que le Rêveur façonne et modèle selon sa volonté. Sa bulle qui le protège des attaques extérieures et qui le construit, cette bulle est un monde. Mais qu’advient-il aux Rêveurs qui perdent le contrôle de leur bulle ? Ceux-là se retrouvent perdus, coupés de leur monde. Le « pourquoi » est plus important. La volonté est le moteur du Rêve, le Rêveur qui rêve sans pouvoir garder le contrôle a perdu quelque chose de lui-même. Quelque chose qu’il se doit de récupérer avant de Rêver à nouveau en toute liberté.
Laurine se réveilla sur le dos d’un dragon. 
Créature mythique, jeune homme au cœur d’or.
Ailes déployées, le dragon filait droit vers l’horizon, délaissant les montagnes au profit de l’océan. La Rêveuse se sentit sereine, complète, en paix. Ne comprenant qu’à moitié d’où lui venait ce calme, Laurine sourit. Si quelque chose lui avait échappé, elle l’avait retrouvé. Plongeant son regard dans celui de l’animal, elle trouva ce qui lui avait fait défaut. Ce « pourquoi » elle avait tout risqué. Le dragon plongea dans le vide, donnant à Laurine la caresse du Vent sur son visage et celle du Soleil sur sa peau. Offrant à sa Princesse la liberté retrouvée.