mardi 30 août 2011

- Bataille -











Je m'écrase au sol.
Le mouvement de mon corps est assourdissant, quelques côtes se fendent sous l'impact.
Je n'ai pas le temps de reprendre ma respiration, mon crâne est d'un coup ferme maintenu contre la morsure sèche de la terre, par le pied d'un lourd guerrier.
Il semble déverser tout son poids sur ma trempe comme s'il cherchait à briser ma tête.
J'inspire avec difficulté, gesticule sans succès, mes forces m'ont abandonnée, définitivement.
"Cesse donc de vouloir m'échapper, m'intima une voix au-dessus de moi. Il est temps pour toi de prendre conscience de ton échec, et pire encore, de ta solitude."
Seule. Seule. Seule...
Perdue. Perdue. Perdue...
J'hurle.
J'hurle à la mort.
J'hurle à la mort, ma vie.
Toujours bien en moi.
Ma rage. De vaincre. D'avancer. D'espérer le meilleur.
Je me débats encore une fois avec mon propre corps, en vain. Il ne répond plus, je suis un esprit prisonnier de sa chair.
Des larmes coulent sur les grains de terre ambrée, tandis que le ciel demeure muet.
Et toi là-haut, tu m'entends ?
Je ne suis pas morte.
Non, pas encore.
J'ai tellement à donner...
L'emprise du pied sur mon cerveau se fait plus forte. J'ai mal.
Soudain, le guerrier m'empoigne, me soulève et m'oblige à m'agenouiller, les bras pliés dans le dos, les yeux tournés droits devant moi.
La plaine de terre battue créer l'illusion d'étirer l'horizon à l'infini, pourtant, l'infini s'arrête au pied d'une falaise aussi haute que large, pour donner à l'infini une autre direction, vers les cieux.
Une cuvette.
Je suis enfermée.
Corps et âme.
Brusquement, je me rends compte de tous ces regards pesant sur moi. Derrière le guerrier s'élève une armée que nul ne peut défaire. Et moi, seule au milieu de la multitude, je m'écrase. Mentalement, cette fois.
Aucune issue n'est envisageable.
Respirer est souffrance.
Penser est souffrance.
Vivre est souffrance.
Ma bouche se déforme sur une grimace de douleur et de désespoir.
Je sens leurs yeux ancrés sur moi, me dévorant en silence, prêts à rire, prêts à m'humilier d'une manière encore plus malsaine, de me mettre plus bas que terre.
Je veux fuir. Nier ma propre existence pour ne pas à être présente à cet instant.
Soudain, le guerrier m'attrape par les cheveux et me hisse à sa hauteur, mes jambes flageolantes ne me tiennent pas debout.
Je n'arrive pas à crier. Plus de voix. Plus de souffle. Ni de courage.
Une fois mon visage presque en l'air, je peux observer plus précisément les falaises qui se dressent devant nous. Et derrière, le ciel, l'étendue bleue et sans secours.
Mon coeur appelle à l'aide.
Me voici esclave.
Me voici dépouillée de moi-même.
J'ai donné aux mauvaises personnes.
J'ai mal rien que de me l'avouer.
J'ai mal d'avoir essayé de me l'avouer.
Pourtant, j'en suis là.
Esclave d'un rien, démunie de dignité, démunie d'honneur, démunie de raison d'être aimée.
Il me laisse retomber à terre, je m'étale mollement, ombre dans l'ombre.
Mon coeur bat sa dernière partition, l'horreur est là, insoutenable, qui m'encercle et me condamne.
J'abandonne.
Presque.
Je m'abandonne presque à la mort.
Lorsque quelque chose en moi me fait sursauter.
Un rugissement terrible.
Un rugissement capable d'arracher une montagne du lieu où elle se tient.
Je tremble.
J'entends un lion rugir.
En moi.
Il ne rugit pas de désespoir, lui.
Il rugit de vie.
D'espoir.
Je m'accroche, de tout mon être, à cet ultime cri.
Ouvre à nouveau les yeux.
Rien a changé autour de moi cepandant, plus rien n'est pareil.
Respirer.
Penser.
Vivre.
Tout ce qui emporte.
J'inspire doucement.
Et tout à coup, le voile du ciel se déchire.
Toute l'armée relève les yeux vers les hauteurs, tétanisée.
Ailes brassant l'air avec puissance, regard d'un feu ardant, courbes du plus grand destrier du firmament.
Dragon.
Aussi bleu que la voûte du monde, immense comme quatre chevaux alignés les uns devant les autres, des reflets d'or jouent sur ses écailles à la couleur de l'océan, ses pattes sont repliées contre son ventre, et son visage, brillant de détermination, plonge vers le sol.
Flammèches mordorées qui dansent dans sa gueule, pendant qu'il trace sa voie au milieu de la plaine, avant de se poser sur la falaise.
Si loin et si proche de moi à la fois.
Il me regarde.
Le lion rugit à nouveau en moi, je sursaute encore, comme si un morceau de vie reprenait possession de moi.
Il me regarde.
Lorsque soudain sa silhouette devient floue, et laisse place à un homme.
Qui me regarde. Toujours.
Il est grand, porte une barbe de quelques jours qui sublime les courbes de son visage fin et l'étincelle qui rayonne dans ses yeux noisettes, le corps droit et fier, tout revêtu d'un ensemble de cuir et d'acier.
Je le connais.
Son nom résonne contre mes tempes et mon âme.
Respirer.
Un homme sur une falaise.
Tenant une arme à la main, si dérisoire face à tous ces autres, si belle lorsqu'il la lève vers les nuages.
Un signe qu'ils semblaient avoir attendu longtemps avant d'apparaître à leur tour.
Je tremble.
Le lion rugit.
D'amour.
De joie.
Je voudrais ouvrir la bouche et rugir à mon tour, qu'ils l'entendent, qu'ils entendent le lion qui tente de se relever.
Soudain, aux côtés de l'homme, s'en approche un autre.
Ses cheveux bruns sont coiffés en une crête parsemée de plumes d'argent, ses bras sont tatoués de symboles guerriers, il est armé d'un long bâton taillé dans le bois le plus dur. Il pose alors une main amicale sur l'épaule de son compagnon, leurs regards se croisent, un sourire nait.
Coeur Bleu et Regard d'Espoir.
Ils sont là.
Ils sont là pour moi.
De suite après, avance Petit Lion. Torse nu et la taille recouverte d'un ample pantalon en lin gris, il a des lignes multicolores peintes sur les joues comme les indiens, les cheveux en bataille sur son front, et un pinceau aussi haut que lui dans la main, capable de recréer des rêves sous l'impulsion de son propriétaire.
Non de lui se tient Main de la Rivière, ses mèches blondes au vent, chevauchant un oiseau sorti directement d'un de ses dessins.
Nouveau tremblement.
Je distingue Grand Ours derrière Coeur Bleu, se massant malicieusement sa longue barbe rousse décorée de perles de bois, l'air joyeux à l'idée de pouvoir bientôt s'élancer dans une bataille de légende.
Enfant Lune, l'apprenti disparu mais non oublié, a déjà dégaîné ses sabres jumeaux, silhouette sombre et fluide parmi les autres.
Petite Aile est venue aussi. Elle me sourit. Je vois ses ancêtres se placer autour d'elle, prêts à combattre à leur tour, à jamais sous leur forme d'esprits d'Aigle.
Patte Noire est debout, en première ligne, contre toute attente, il a accepté la vérité d'être un être important dans ma vie.
Juste derrière Petit Lion et Main de la Rivière, j'aperçois Regard'Onyx, Coeur de Neige, Enfant de l'Aurore, Mathilde toute parée de tissus de toutes les couleurs... En chacune d'elles flamboie une force particulière, qui finit par former une aura de lumière autour d'elles. Il y a enore d'autres présences qui brillent avec elles, mais je ne peux pas en déterminer l'identité. Ils créent ensemble un groupe compact, indivisible.
Je distingue alors Plume de Cristal, fièrement campée sur ses jambes, accompagnée de Petit Loup qui observe leurs nouveaux compagnons de combat.
Là, à côté de Regard d'Espoir, se présente Regard de Pluie, quelques plan de bataille sous le bras, cherchant Petite Aile des yeux.
Peu à peu, l'assemblée devient un trait noir sur l'horizon, de plus en plus épais.
Ils sont là pour moi.
Ils sont là pour moi.
Rien d'autre n'arrive à m'atteindre.
Et le premier d'entre eux me regarde toujours.
Ses yeux sont devenus un brasier d'amour.
Il ne semble pas appeuré à l'idée d'affronter toute une armée pour me récupérer. Il avait peur lorsqu'il m'avait perdue, mais puisqu'il m'a désormais retrouvée, il sait ce qu'il doit faire.
Le lion rugit encore.
Je pleure.
Prisonnière, toujours. Libre tout à la fois.
Il sont là pour moi.
Je ferme les yeux.
La plaine se pare d'une pelouse verte et lisse, le ciel se dégage, l'air est épuré...
Je rêve un peu, pour eux, pour moi.
Délivrance.
L'armée adverse n'a pas dit son dernier mot. Tous les soldats claquent leurs armes contre leur bouclier, faisant s'élever un terrible battement de fer.
Appel à la mort.
Le grand guerrier s'est rangé à leur tête, moi, je gis toujours à quelques mètres d'eux.
Tout s'éclaire enfin pour moi.
J'inspire.
Pose une main, puis l'autre, sur la terre, et tire sur mes jambes.
Le lion ronronne en moi.
Il est prêt.
Au loin, mes sauveurs me voient faire et m'encourage en poussant des cris de joie. Seul Coeur Bleu ne dit rien, il attend.
Je suis presque debout, ma tête tourne dangereusement, mais je continue de respirer calmement, et je finis par retrouver un certain équilibre.
Je me retourne.
Je découvre à nouveau tous mes cauchemars. Toutes mes hontes, mes blessures, mes deuils, mes abandons.
Tous là sous les traits de ceux qui m'ont un jour anéantie.
Le grand guerrier.
Je reconnais son visage à présent.
Yeux en amande, peau à la couleur caramel...
Il ose me sourire.
Il ose me sourire !
J'ouvre la bouche.
Inspiration.
Libération.
Rugissement.
Il n'est plus intérieur, il est réel.
Je rugis.
Moi, un corps décharné, une âme blessée.
Je rugis.
Touujours plus fort.
Son sourire se transforme en grimace.
Et tandis que mon cri s'élève au milieu de la plaine, j'entends derrière moi ceux des autres. Aboiements, henissements, hurlements, cris d'aigles, rugissements...
Je me redresse, le coeur battant, prête à donner tout ce que j'ai.
Et tout ce que j'ai, c'est eux.
La plaine tremble. Ils s'élancent.
Je me tiens debout et derrière moi, ils volent, galopent, courent.
Silhouette entourée.
Silhouette aimée.
Silhouette protégée.
Silhouette...
Crinière blanche illuminée par l'astre du jour, courbes félines et s'assombrissant jusqu'au bout de mes pattes, noires.
Noires, sauf une.
Ma patte droite.
Ma patte blanche.
Regard d'or. Regard de lion.
Ils sont tous sur le point de me rejoindre, l'armée d'en face, elle, est clouée au sol de terreur.
Je rugis encore une fois.
Pleinement moi-même.
Soudain, un Dragon bleu atterit à mes côtés.
Nos yeux se noient l'un dans l'autre.
Echange parfait.
Un sourire.
Un aveu.
Et lorsque nous nous concentrons sur l'instant présent, une seule pensée cernie d'une volonté incroyable nous anime.
" En avant ! "

2 commentaires:

  1. Tu sais ma zamour, rare sont les ecrits qui me font rever, et m emportent...
    Tu es vraiment super douée! :) je me lasse pas de mes lectures ici ^^

    Bise :D

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  2. C'est super gentil ma Zamour :$

    Merci pour ta fidélité ;)

    Zibou :D

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