mercredi 17 août 2011

- L'Eveil du Dragon -

Ceci est une nouvelle qui m'a été offerte pour mes 19 ans par Mathilde, dont je salue la générosité et le talent.
Mêlant une intrigue à la fois basée sur celle de mon roman en cours et la nouvelle que je lui avait concocté pour ses 18 ans en février, j'ose espérer que ces personnages qui nous ressemblent étrangement, puissent toujours continuer à se côtoyer, dans la littérature, comme dans la réalité de cette belle amitié.

Enjoy !






L’Eveil du Dragon


La Rêveuse se réveilla en sursaut.
Sa nuit avait été agitée, une fois de plus, par des rêves qu’elle n’avait pas pu contrôler.
Des rêves loin des cauchemars qui avaient le pouvoir de la hanter durant des mois, mais des rêves entiers dont elle ne gardait aucun souvenir. Aucune trace. Sa frustration grandissait au fur et à mesure que les jours s’engrenaient : elle avait perdu cette magnifique faculté qu’elle avait toujours eue, celle de se souvenir avec exactitude de ses rêves. Les détails qui faisaient souvent défaut aux autres simples rêveurs étaient pour elle aussi clairs et précis que si elle avait vécu sa nuit toute éveillée. Elle se rappelait la couleur des yeux de son ennemi imaginaire, le nombre d’arbres dans lesquels elle s’était perchée… Elle avait conscience de son pouvoir depuis sa plus tendre enfance.
Et là, depuis sept longues nuits, elle avait rêvée. 
Sans se souvenir au réveil du contenu de son rêve.
Secouant sa chevelure rousse avec énergie, elle chassa le rêve le plus loin possible d’elle. Elle savait que son songe était de la troisième voire de la quatrième catégorie. Lié aux autres, elle sentait qu’il avait une signification. Pire : elle savait qu’elle pouvait se souvenir, qu’elle en était capable. Pourtant quelque chose l’en empêchait et elle ne mit pas la main dessus.
Une fois sortie de chez elle, aussi fatiguée que si elle n’avait pas dormi, elle choisit de tirer cette affaire au clair. Les rêves faisaient partie d’elle, il était donc hors de question qu’elle y renonce sans rien tenter pour les retenir. « L’homme a besoin de rêve pour avancer ». Un de ses professeurs de seconde lui avait dit cela un jour. Son statut de Rêveuse s’était imposé à elle, elle ne comprenait pas pourquoi cela changeait. 
Se laissant emporter par le flot de personnes dans la rue, elle prit sans le savoir une direction bien connue : une modeste boutique de livres dans une ruelle sombre. La libraire, une amie de longue date, était une petite jeune femme énergique et farfelue. Laurine, la Rêveuse, sut qu’elle serait en mesure de l’aider puisqu’elle était la porteuse. La porteuse de la clochette des rêves. Poussant la porte de la librairie, la Rêveuse se mit à sourire doucement : des livres s’étalaient partout dans la pièce, du sol jusqu’au plafond. Puis, Laurine aperçut une frêle silhouette derrière les piles d’ouvrages. La porteuse apparut, un imposant livre dans les bras et une paire de lunettes sur le bout de son nez. Relevant la tête de sa lecture, elle fit signe à son amie de s’avancer :
-Je suis heureuse de te revoir mon amie, comment vas-tu ? 
Sa voix, rapide et enjouée, apaisa la jeune fille qui ne s’était pas rendu compte de son agitation. 
-Je ne vais pas très bien, je te l’avoue Mathilde. J’ai besoin de ton aide, à mon tour.
-Que puis-je faire pour toi ? demanda-t-elle, anxieuse. 
Laurine parcourut les rayonnages désordonnés, tentant de mettre en lumière ce qui se passait en elle. Elle souhaitait expliquer avec clarté ses rêves dont elle ne gardait aucun souvenir. Ses yeux se posèrent sur un livre d’images relatant la quête du Roi Arthur : les combats, les princesses, la magie et les créatures enchantées… Sans savoir pourquoi, quelque chose l’interpella dans ce livre pour enfants. La voix posée de son amie la sortit de sa rêverie :
-Alors ? Qu’est-ce qui ne va pas ? 
-Je rêve, toutes les nuits comme toujours, mais je n’ai plus aucun moyen de me rappeler de mes rêves. Je n’ai plus d’emprise sur eux, ajouta-t-elle désespérée, et j’ai l’intime conviction qu’ils sont liés. Qu’ils ont un sens. 
-Un sens ? répéta Mathilde. Tu veux dire que tu fais des rêves de la troisième catégorie sans t’en souvenir ? 
La déclaration était si improbable que la jeune libraire chercha un appui. Posant le livre sur une table, elle s’assit et proposa un siège à son interlocutrice. La surprise se lisait dans ses yeux, cependant elle maitrisa sa stupeur afin de rassurer – ou tout du moins afin de ne pas alerter plus encore – son amie. 
-Donc, tu n’en as aucun souvenir ? 
-Pas l’ombre d’un.
-Peut-être que je peux te venir en aide… 
-Penses-tu que les Croqueurs de Songe aient pu me priver de mon don ? Sollicita la Rêveuse rongée par l’angoisse. 
Mathilde réfléchit un instant, titillant ses lunettes d’un geste automatique, puis sourit franchement à son amie :
-Ils en seraient bien incapable ma belle, personne d’autre que toi ne peut te priver de ton don. Je pense que tu as perdu quelque chose, ou alors, reprit-elle, je pense que tu as besoin de quelqu’un pour te retrouver. Une personne est derrière tout cela, cette personne t’empêche de voir tes rêves parce qu’ils sont la clé.
-La clé de quoi ? 
-D’une vérité, d’une situation bien réelle qui se passe en ce moment même. Quelque chose se passe dans le monde du Rêve et l’on veut te devancer afin que tu n’interviennes pas. 
La Rêveuse jaugea cette interprétation et acquiesça en silence. 
-Et de quoi veut-on m’écarter ? 
Mathilde haussa les épaules d’un geste résigné. Un éclair illumina soudain son regard et elle partit dans l’arrière-boutique sans demander son reste. Elle en revint quelques instants plus tard habillée de son manteau, un parapluie rouge à la main. 
-On sort ? proposa-t-elle d’un ton volontairement mystérieux.
-Pourquoi pas, soupira Laurine, pourquoi pas…
Une fois dehors, la pluie se mit à tomber comme si Mathilde avait prévu l’averse. Bien à l’abri sous le parapluie, les deux jeunes filles ne s’étonnèrent pas du temps capricieux en cette fin de juin, le climat n’était plus une valeur sûre. Tout comme mes rêves, se dit Laurine. Sans daigner expliquer quoi que ce soit à son amie, ni même donner un indice sur leur destination, Mathilde guida la jeune Rêveuse jusqu’à un parc qui longeait les abords du Palais de Justice. Lançant des coups d’œil derrière elle, elle semblait ne pas souhaiter être suivie. La porteuse de la clochette des Rêves avait, de mémoire d’homme, été quelqu’un d’assez imprévisible, mais Laurine ne sut pas quoi penser d’elle. Sur le point de l’interroger, Mathilde l’arrêta d’un geste de main. Ecoutant tout bruit alentour, elle se mit à crier bien haut : « Sophie ! C’est le moment de venir, j’ai besoin de toi ! » Laurine sut qu’elle invoquait une fée, puissante et sage. Pourtant, les motifs de la jeune porteuse restaient obscurs. La fée Sophie apparut finalement, le visage encadré de mèches brunes et le regard malicieux. 
-Que puis-je pour toi Mathilde ? Oh mais nous sommes en bonne compagnie ! La Rêveuse Laurine en personne… s’exclama-t-elle toute heureuse.
-Ravie de faire te revoir Sophie, dit calmement Laurine.
-On a besoin de toi Sophie, j’ai remis la clochette à sa place en février mais aurait-on le droit d’y jeter un coup d’œil ? 
La fée se gratta la tête tant la demande de la libraire lui paraissait incongrue. 
-Il me semble qu’une fois la clochette mise à sa place on n’a pas le droit d’y toucher.
-Tu comprends So’, on veut juste vérifier le contenu de quelques rêves… expliqua Mathilde.
-Oui je vois, néanmoins aucun humain ne peut aller voir jusque là-haut et je doute que je puisse descendre la clochette sans bouleverser la musique et l’harmonie qu’elle apporte. 
-Alors va écouter la musique de la clochette Sophie, déclara Laurine subitement.
-Moi ? S’étrangla la petite fée.
-Qui d’autre que toi pourrais y aller ? demanda Mathilde, tu es une fée et tu en as le pouvoir !
Sans plus de paroles, Sophie disparut aussi rapidement qu’elle était apparue et la Rêveuse se mit à espérer. Plantée au beau milieu du parc, Laurine s’assit dans l’herbe fraiche et verte et mouillée. Le sommeil la prit sans qu’elle puisse y résister et elle s’endormit sans crier gare, sous les yeux ébahis et protecteurs de son amie. Lorsqu’elle se réveilla, Sophie était de nouveau à leurs côtés et discutait avec Mathilde. Laurine râla un moment avant de se tourner vers ses amies :
-Alors Sophie ? 
Son ton colérique surprit la fée :
-Il y a un problème ? 
-Je ne me souviens pas de mon rêve, encore, répondit la Rêveuse.
-Mais moi je sais désormais quelque chose au sujet de tes rêves, dit Sophie d’un air malicieux et mystérieux. 
-Dis-moi tout ! s’écria Laurine.
Mathilde et la fée échangèrent un regard complice et Sophie commença à s’expliquer :
-La clochette sonnait furieusement tes rêves, un rêve agité et complexe. J’en ai compris que tu devais aller sauver quelqu’un, une créature qui te libérera à ton tour. Cette créature est prisonnière d’une sorcière, la Dame de Trèfle. Je n’en sais pas plus… admit-elle avec un sourire désolé.
-C’est déjà beaucoup ! répliqua Laurine. Je sais désormais où aller et quoi faire !
Mathilde à son tour s’étonna :
-Tu sais où aller maintenant ?
-Oui, souffla son amie. La Dame de Trèfle est une sorcière qui vit dans le Rêve de Louna. C’est une Rêvée, abritée dans la chaîne de montagnes des Dents de Feu, près des Terres Aewin. 
-Elle existe vraiment ? 
-Non, je viens de la rêver, je me souviens de mon rêve de cette nuit désormais. 
Sophie opina silencieusement, sachant que sa tâche était achevée à présent. Sa silhouette devint floue, puis, avec un ultime sourire rempli de malice, elle disparut. Promettant de revenir dès qu’une des deux auraient besoin d’elle. Mathilde prit la main de Laurine, et la ramena chez elle. Là elle la regarda tendrement :
-Tu dois dormir maintenant Laurine, dors et va retrouver ton rêve, va là-bas.
La Rêveuse acquiesça et s’endormit, immédiatement. 

 ***

Le Rêve est un univers à lui tout seul. 
Modulable, malléable et réel au-delà de la simple pensée. 
Laurine, capable de pénétrer à l’intérieur du troisième et du quatrième cercle du rêve, s’aventura dans des terres inconnues. Au cœur du monde qu’elle avait visité grâce à Louna, elle se réveilla au pied de la chaîne des Dents de Feu. Elle n’y était jamais allée auparavant. Monts aussi escarpés que les Dentelles Vives, elle frissonna en sentant son propre corps : d’ordinaire, elle ne fréquentait jamais son Rêve elle-même. Quelque chose ne tournait décidemment pas rond dans ce rêve-là, comme si elle avait quelque chose à faire par elle-même. Sentant la solitude peser sur ses frêles épaules, Laurine inspira profondément avant de partir à la recherche de la sorcière : la Dame de Trèfle. Rien ne lui indiquait son repère mais une petite voix lui soufflait les réponses à ses questions et elle entama la route vers sa cachette. Vêtue d’un jean et d’un tee-shirt, elle prit froid à mesure qu’elle grimpait. Heureusement, au détour d’un col situé à une centaine de mètres au-dessus du vide, elle l’aperçut.
La Cité de la Dame de Trèfle.
Citadelle vertigineuse de verticalité, elle côtoyait les nuages et tutoyait le Soleil. 
Laurine déglutit avant de reprendre son chemin et avança jusqu’aux pieds de la forteresse. La sorcière s’attendait-elle à sa venue ? Que devait-elle faire à présent ? Réfléchissant aussi vite que possible, la Rêveuse se força à se calmer. La situation n’était pas critique, elle parvenait à son but et devait désormais faire preuve de courage afin de braver le danger. Son instinct la guida jusqu’à une cavité, une bouche d’égout du château sans aucun doute. Elle s’y engouffra avec une grimace dû à l’odeur, mais heureuse que la chance continue à lui sourire. Parvenue dans un dédale de couloirs humides et sombres, Laurine ne tarda pas à se perdre. Elle perdit également la notion du temps et se recroquevilla un instant sur le sol, démoralisée et fatiguée. Les larmes lui montèrent aux yeux et elle se laissa aller… 
-Bonté divine ! Quelle est cette puanteur ! 
La voix qui s’était ainsi exprimée n’était autre que Sophie la fée, parvenue jusqu’à la Rêveuse. Celle-ci se releva d’un bond et le sourire lui revint aux lèvres.
-Comment m’as-tu retrouvée ? Le rêve n’est pas censé t’être accessible Sophie, s’étonna-t-elle.
-Comment ça ? répliqua la fée. Je suis là parce que tu m’as appelée pardi !
-Ce rêve est décidemment vraiment très étrange, conclut Laurine, mais peut-être peux-tu m’aider à nouveau ?
-Te faire sortir de ce trou à trodds ? Oui, ça je peux faire sans problèmes ! 
L’assurance de la fée fit oublier à Laurine tous ces problèmes et elle attendit des instructions. 
-Bon, d’abord je viens de la salle du trésor où la Dame de Trèfle compte ses sous comme une vraie avare… Il n’y a aucun serviteurs, pas de gardes non plus ce qui est inquiétant. Mais venant de Morgane rien ne m’étonne… grommela la petite Fée. 
-Morgane ? reprit Laurine. 
-Bah oui, Morgane la sorcière, la Dame de Trèfle, la maitresse de ses lieux, l’horreur qui sert de maitre à ce château de l’enfer, l’affreuse méchante qui retient la créature prisonnière, la maléfique magicienne des Temps Anciens… 
-Tu dis alors qu’elle s’appelle Morgane, pourtant ce n’est pas un nom Ignotalïs, ni un nom d’Aewin… D’où vient-elle alors ? 
-De ton imagination je dirais, répondit Sophie avec simplicité.
-Bon, et où se trouve la créature à sauver ? demanda la Rêveuse sans se formaliser de l’imprécision de cette réponse.
-Suis toujours ton cœur et ton instinct, ce sont deux choses qui ne trompent pas, souffla Sophie. Et au besoin, je te confie Leeloo, juste au cas où… ajouta-t-elle avec un sourire.
Sur ces paroles, elle confia à la jeune femme son pendentif en forme d’éléphant blanc qu’elle avait l’habitude de porter toujours autour de son cou. 
-Mais surtout prend en soin.
Avec un dernier clin d’œil, Sophie disparut à nouveau et Laurine se retourna vers un couloir sombre le sourire aux lèvres. « C’est par là » chuchota-t-elle dans l’obscurité.
Elle parcourut longtemps les catacombes du château avant d’entendre du bruit juste au-dessus d’elle. Un grillage laissait passer de la lumière et une voix s’élevait, une seule. Laurine tendit l’oreille et jeta un coup d’œil par la grille. Une femme se tenait dans la pièce gorgée de lumière : assis fièrement sur un tas d’or, elle semblait plus agacée qu’autre chose. La Rêveuse vit qu’elle lui tournait le dos et, lentement, elle souleva le grillage et le fit basculer afin de pouvoir passer. Elle se glissa aussi rapide que le vent dans la grande salle du trésor et se cacha derrière un pilier couleur or qui s’élevait jusqu’au plafond voûté de la pièce. Laurine écouta enfin ce que la sorcière déclamait d’une voix perchée et cassée :
-Mon petit prince, mon beau roi va mourir et cela très prochainement je m’y engage. Oui je le promets, je t’enfermerais comme j’ai enfermé ton monstre tu verras ! 
Tout en caressant ses pièces d’or, la Dame de Trèfle laissait sa tête aller d’avant en arrière, comme si elle dormait et parlait dans son sommeil. Laurine la détailla : elle était grande, élancée et ses cheveux noirs corbeau encadrait un visage angélique. Ses yeux, mi- ouverts, étaient d’une couleur or effrayante d’étrangeté. Sa robe, un grand assemblage de tissu, était noire et des trèfles rouges étaient brodés dessus. Morgane, puisque tel était son nom, se releva subitement et se tourna vers le pilier où s’était dissimulée Laurine. La sorcière éclata de rire sans prévenir et s’avança d’un pas majestueux. La Rêveuse ne put se cacher plus longtemps et fit face à la sorcière :
-Ainsi, Laurine la Rêveuse en personne me fait l’immense honneur de sa visite, déclara Morgane tout en faisant une révérence ironique et moqueuse.
-Je cherche la créature que tu retiens prisonnière, Morgane, Dame de Trèfle et sorcière maléfique.
Le ton décidé de Laurine n’était que factice et elle eut le plus grand mal à se retenir de partir en courant. Le visage parfait de la sorcière était pâle et fermé, le regard dur, elle était monstrueuse de puissance et de cruauté. Elle semblait incapable de se retenir de rire et elle ricana devant l’assertion de la Rêveuse. 
-Ne cherche pas plus loin Rêveuse, tu ne trouveras que la mort au bout du chemin. 
-J’ai besoin de retrouver cette pauvre créature, affirma Laurine.
-Toi ? Avoir besoin de quelque chose ? Gloussa la sorcière. Tu n’as besoin de rien ni de personne… à moins que… à moins que tu ne contrôles plus ton rêve ma chère ! 
Un sourire dur s’étira sur les lèvres de Morgane, heureuse d’avoir percé le point faible de son ennemie. Un éclat de rire perça entre ses lèvres pleines et parfaites. 
-Et je n’étais pas prévue non plus, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle. Je ne viens pas des terres Ignotalïs, je viens de ton monde réel. Je suis un personnage de légende et non une Rêvée…
-Que veux-tu dire ? Articula Laurine qui recula de peur.
-Tu as perdu ton pouvoir ! cria Morgane. Je suis la sœur d’Arthur, magicienne maudite celte. Je viens de ton imagination et tu n’as plus aucun contrôle sur tes pensées et tes rêves !
Son rire se joignit à ses interprétations et elle bascula la tête en arrière, ne retenant plus sa joie. Laurine recula encore jusqu’à toucher l’extrémité de la pièce remplie d’or. Une haute grille bardée de fer l’empêcha d’aller plus loin et, acculée ainsi, la Rêveuse se trouva désemparée. Puis, doucement, une tiédeur l’envahit au plus profond d’elle. Une certitude prit possession de son esprit : la créature enchantée l’appelait. Celle que Morgane détenait lui lançait un appel au secours, lui révélant sa position.
Instinct et passion.
Mêlées au génie.
Laurine sortit de la poche de son jean le pendentif de la fée Sophie, représentant l’éléphant blanc salvateur. Elle le jeta devant elle en hurlant à pleins poumons :
-Vas-y Leeloo ! A toi de jouer !
Morgane était à terre, tordue de douleur par un fou rire qu’elle ne pouvait retenir. Elle se releva subitement et fit quelques pas en arrière, de peur d’un maléfice de la Rêveuse. Elle vit apparaitre un éléphant haut de plusieurs mètres devant ses yeux. D’un mouvement habile de la trompe, il hissa Laurine sur son dos et prit l’élan nécessaire pour défoncer ni plus ni moins la grille qui la retenait captive de la Dame de Trèfle. Celle-ci, abasourdie, se lança à leur poursuite désespérément en voyant la situation lui échapper.
Laurine jubilait.
Le Rêve lui échappait, à elle, la Rêveuse compétente et apte. 
Et cela lui plaisait. Loin de l’effroi qu’elle avait d’abord ressenti, elle se sentait désormais libre et suivait quelque chose de plus puissant que sa raison, elle se laissait guider par son cœur. Leeloo chargeait le long des grands couloirs tapissés de noir et de trèfles écarlates. L’éléphant semblait comprendre les moindres désirs de la jeune fille et les anticipait. Les cris de la sorcière retentissaient derrière eux mais ne les menaçaient pas. Plus maintenant. 
L’animal s’arrêta devant une cellule particulièrement imposante. La grille était renforcée, sûrement par précaution, et l’éléphant mit en pièce le formidable assemblage de métal en un coup de défense. Laurine se glissa dans la prison sans appréhension. L’obscurité l’obligea à avancer à tâtons afin de parvenir jusqu’à la créature sortie des légendes du Roi Arthur et de la Quête du Graal. 
La créature.
Monstre et mythe à la fois.
Laurine ne s’y attendait pas. 
C’était un jeune homme. De son âge à peu près, brun et terrifié par l’animal derrière lui, il regardait la jeune Rêveuse intensément. Son cœur s’emballait à mesure qu’elle s’approcha de lui, jusqu’à prendre sa main afin d’être sûre. Etait-il un Rêvé ou une personne réelle qu’elle rêvait ? Qui était-il vraiment ?
Sophie avait parlé d’une créature mythique, elle ne pouvait s’être trompée… 
Les pensées de Laurine s’entrechoquaient tandis que le garçon lui prit les mains et l’entrainait vers l’unique lucarne de sa prison de pierre. La Rêveuse interrompit ses calculs et ses interrogations lorsqu’un bruit sourd provenant de derrière elle se produisit. D’un regard, elle vit le pendentif en forme d’éléphant blanc suspendu au cou de Morgane qui l’avait rattrapé et avait éjecté l’animal de la fée. Elle jeta avec mépris le collier aux pieds de Laurine qui le récupéra avec soin.
-Vous êtes piégés, cracha-t-elle avec mépris à l’attention de la Rêveuse autant que pour le jeune homme.
Elle pouffa de rire en voyant leur air apeuré et démuni et ricana encore sans se soucier d’eux. 
-Tu as confiance, Laurine ? demanda-t-il, ignorant les menaces de la Dame de Trèfle.
-Comment ? 
-Tu as confiance en moi ? répéta-t-il.
Son regard se fit perçant et la jeune fille ne put qu’acquiescer. Son cœur se mit à battre plus fort encore et le jeune homme se tourna vers le mur. Il mit les mains de Laurine sur ses épaules et sauta par la petite ouverture située en hauteur. N’importe qui aurait été incapable d’atteindre la lucarne, lui trouva facilement une prise et fit sauter les gonds de la fenêtre. Les hurlements de Morgane n’y firent rien, il sauta dans le vide de la vertigineuse citadelle.
Le vent fouettait le visage de Laurine qui ferma les yeux, cramponnée à son sauveur. Celui qu’elle était venue délivrer. Tout son corps parut s’engourdir sous le choc de la chute et elle se laissa totalement aller. Elle s’évanouit.

***

Le Rêve est un univers à part entière.
Pour la majorité des rêveurs, il n’est qu’un lieu de paix et de fantasmes. 
Pour une petite partie d’entre eux, il est plus que cela, bien plus. Il est alors une bulle, que le Rêveur façonne et modèle selon sa volonté. Sa bulle qui le protège des attaques extérieures et qui le construit, cette bulle est un monde. Mais qu’advient-il aux Rêveurs qui perdent le contrôle de leur bulle ? Ceux-là se retrouvent perdus, coupés de leur monde. Le « pourquoi » est plus important. La volonté est le moteur du Rêve, le Rêveur qui rêve sans pouvoir garder le contrôle a perdu quelque chose de lui-même. Quelque chose qu’il se doit de récupérer avant de Rêver à nouveau en toute liberté.
Laurine se réveilla sur le dos d’un dragon. 
Créature mythique, jeune homme au cœur d’or.
Ailes déployées, le dragon filait droit vers l’horizon, délaissant les montagnes au profit de l’océan. La Rêveuse se sentit sereine, complète, en paix. Ne comprenant qu’à moitié d’où lui venait ce calme, Laurine sourit. Si quelque chose lui avait échappé, elle l’avait retrouvé. Plongeant son regard dans celui de l’animal, elle trouva ce qui lui avait fait défaut. Ce « pourquoi » elle avait tout risqué. Le dragon plongea dans le vide, donnant à Laurine la caresse du Vent sur son visage et celle du Soleil sur sa peau. Offrant à sa Princesse la liberté retrouvée. 

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