lundi 9 mai 2011

- La Mélodie des Rêves -

Voici une nouvelle écrite vers janvier, pour l'anniversaire de deux amies de mon forum préféré :)
J'avais décidé d'écrire quelque chose dans un style frais, ridiculisant les codes de la fantasy, tout en les gardant appréciables ... Un texte à plusieurs niveaux de lecture qui fait du bien :)
Autre particularité, la vraie Mathilde est une vraie fan du personnage principal de ma trilogie en cours : Gabriel. Alors, pour épicer la chose, j'ai mêlé mon roman à l'histoire. Donc, pour faire simple, Gabriel représente son personnage préféré, et Louna, moi-même.


Enjoy !






- La mélodie des Rêves -





Il me regarde intensément.
Regard d'un vert hypnotisant, regard en amande, regard de silence.
Je suis sur ma chaise, mal à l'aise, la classe n'ose pas bouger d'un cil, émettre un seul son, on dirait même que tout le lycée a été stoppé dans le temps.
Il me regarde.
Élancé, assez grand. Une peau caramel. Des cheveux noirs, soyeux, des lèvres couleur de miel. Habillé d'un pantalon de lin teint gris, ample et qui met en valeur son torse drapé d'une veste serrée à l'allure d'un kimono.
Un rêve.
Il me regarde.
Et s'avance vers mon rang.
« Je cherche Mathilde. »
Sa voix, avec des tons graves, posés, doux, avait résonné quelques instants plus tôt, lorsqu'il avait ouvert la porte dans un mouvement aussi souple que contrôlé. Je flotte en moi-même, dans cette pièce remplie d'une quarantaine d'élèves et du professeur de français, aussi tétanisés que moi.
Pourquoi personne ne rigole, pourquoi personne ne pose de questions, pourquoi sont-ils aussi abasourdis que moi ?
Ce n'est pas possible. Il est là, devant moi, terriblement attentif. Je ne peux pas m'empêcher d'avoir l'impression de le connaître.
Mais où ? Quand ?
Et surtout... Qui ?
« J'ai besoin de te parler, tu sors avec moi cinq minutes ? »
Sa voix à nouveau, si agréable, je ne bouge toujours pas.
Pourquoi ? Que j'aurais voulu demander une fois de plus. Rien n'est sorti de ma bouche, même pas une remarque du professeur ahurie comme les autres, comme moi. Je me lève.
Sa main prend la mienne, m'entraîne, le rêve se déroule devant moi, impuissante, légère.
Passé les couloirs froids éclairé par la lumière fine et blanche du dehors, nous sommes dans la cour, entre deux bâtiments de briques rouges.
« Qui es-tu ? »
Ça y est, je me réveille.
Il me regarde encore une fois, je le connais, j'en suis sûre.
« Miguel. »
Je ne connais personne de ce nom-là. Au secours … !
« Je... Tu... Qui es-tu ? »
La répétition, débile, le fait encore sourire. Instant lumineux. Apaisant. Je vais fondre ...
« Miguel, répète-t-il avec douceur. Je viens des Nébuleuses, mon frère est avec une Rêveuse et je suis là parce que nous avons besoin de toi. »
Je cligne des yeux. Oulalala... !
« Ton frère ? Nébuleuses ? Rêveuse ? »
Décidément, je suis folle et débile en même temps. Encore un sourire de Miguel, il ne sait que faire ça on dirait, je respire. Oui, Mathilde, respire...
« Mon frère s'appelle Gabriel et la Rêveuse, c'est Louna, une créatrice de Nébuleuses, les rêves. »
« Gabriel... »
« Tu le connais, n'est-ce pas ? »
« Euh... J'ai... J'ai lu. »
« Bien. Donc moi, je suis son petit frère et je suis un Récolteur de Songe. Cette nuit, toi et moi, nous allons remettre en place la clochette des rêves. »
« Mais... Mais... Tu es... »
« Un Rêvé, oui. Chacun son monde et j'ai besoin de toi pour sauver le mien ce soir. »
« Je... Je... »
« Doucement, Mathilde, murmure-t-il en me reprenant la main. Tout va bien aller. Je te protégerai. »
« Me protéger ? De qui ? »
« Des Croqueurs de Songe. »
Je reste muette.
Rêve ou cauchemar ?
Rien de réel en tout cas.
Je crois que je suis tombée par terre, sous le choc.
Oui, je suis partie en arrière, mais Miguel m'a rattrapée. Ouf...
Il a de la force dans les bras, son regard ne me quitte pas, je me sens mieux.
« Louna m'avait prévenu que ça risquerait de t'effrayer, mais je ne pensais pas que ce serait à ce point. Je suis désolé, je ne suis pas doué avec les mots. »
Je suis à moitié au sol et à moitié contre lui, mon cœur s'est perdu dans un battement infernal, je le sens cogner douloureusement contre mes tempes, ma tête tourne. Mathilde, respire !
« J'ai vraiment besoin de toi. » me souffle alors Miguel, hypnotique. 
Je ne sais pas s'il s'en rend compte. Totalement hypnotique. Pas doué avec les mots ? Tu parles... Je fonds, ça y est !
« Mais je ne suis personne... »
« Tout le monde est personne tant que l'on arrive pas à être soi. Il faut juste remettre la clochette des rêves à sa place, pour empêcher les Croqueurs de Songe de détruire les expressions nocturnes des subconscients des Mondes. »
« Et Louna ou Gabriel, ils ne pourraient pas le faire à ma place ? »
Quelle idée... Mathilde, tu es en train de proposer qu'une personne imaginaire en aide une autre pour un travail qui ne touche pas aux choses rationnelles... Folle et débile, je l'avais dit !
« Ils sont occupés... Des histoires avec un Mangespoir je crois, et c'est pas gagné... Enfin... De toutes façons, il n'y a que toi qui puisse remettre la clochette dans l'écrin du ciel. »
« Je ne comprends rien... Quelle clochette ? Pourquoi moi ? »
Me remettant petit à petit, je m'étais redressée, nous parlons maintenant assis face à face.
Miguel, c'est Gabriel en plus jeune. Le même, avec des yeux verts qui font frissonner, et il est là, en chair et en os, tout près, je peux le toucher. Il est ... Réel.
Peut-être.
Merveilleux et effrayant.
« Tu es la porteuse de la clochette des rêves. »
J'ai voulu nier ou pouffer. Mais ses yeux m'enchaînent à lui et ils fixent mon cou, je baisse les miens.
Mon grelot.
Le grelot que j'avais trouvé dans un carton des affaires de noël. Pendu contre ma peau, que je prends souvent entre mes doigts, comme un tic qui rassure.
Encore un sourire dans les yeux de Miguel. Je me suis laissée porter.
Après tout, s'il le veut, je peux me mettre à croire que la lune est habitée sur la seule preuve qu'il y a là-haut de la lumière...
Nous sommes retournés à l'internat. Devant la chambre que je partage avec Inès, une petite rousse pleine de verve, je sens combien les choses vont être bouleversées, et le pire, c'est que j'y suis de plus en plus consentante. Et pourquoi ça ? Parce que oui, l'aventure, l'inconnu, la nuit, ce n'est qu'un rêve, mais je veux le vivre. Au moins essayer. Une fois dans ma vie.
« Prends juste des vêtements chauds, le reste nous n'en aurons pas besoin. »
J'obéis à Miguel qui veille au pas de la porte, il n'a pas fait un mouvement vers l'intérieur, comme gêné.
« Où allons-nous ? »
« Les Nébuleuses ne s'ouvrent qu'à la tombée de la nuit. Nous allons monter sur les toits de la ville. Les rêves, comme de l'eau qui s'évapore, ils remontent en silence vers le ciel. Et ce sera à travers eux que nous trouverons l'écrin dans ce dernier. »
« Mais... la clochette... l'écrin... pourquoi ? »
Peut être avais-je été un émetteur en morse dans une autre vie...
« Les rêves font partie de l'harmonie des Mondes. Et l'une de ses ultimes harmonies, c'est la musique. Elle est le langage universel. Ainsi, la clochette est la gardienne de la rencontre de deux harmonies. Elle sonne le début et la fin du temps des rêves de la nuit. Sans elle, les rêves se perdent et sont détruits, brisant l'équilibre des choses telles qu'elles doivent être. Mais il faut que la nouvelle clochette soit placée dans l'écrin pour remplir sa fonction et ce, dès ce soir. »
J'ai fini et passe en bandoulière un petit sac par dessus mon manteau. Je suis maintenant en face de lui, prête à partir, prête à tout entendre, ou presque...
« La nouvelle clochette ? »
Ma répétition ne le fait pas sourire. Pour la première fois. Au contraire, il baisse les yeux, me privant de sa flamme verte qui me tient en confiance.
Lassé ? Il fallait bien que ça arrive...
« L'ancienne porteuse a été tuée par les Croqueurs de Songe. »
Je ne suis pas retombée par terre.
Juste un silence.
Lourd de sens.
« Mais j'ai dit que je te protégerais, se reprit-il avec vigueur et détermination, me regardant à nouveau droit dans les yeux, enivrant. Et je le ferai. Je suis prêt à donner ma vie pour la tienne, je le jure. »
Un frisson s'empare de mon corps malgré moi.
Il pourrait mourir de ridicule face à des regards extérieurs, mais là, je ne peux rien expliquer, je le crois.
Je rougis et évite son regard, un faible sourire sur les lèvres.
« Allons-y » dis-je pour me donner contenance, partant dans les couloirs.
Nous sortons des bâtiments sans dire mot, gênés. Et je reste troublée jusqu'à ce qu'il s'arrête devant le portail, ouvert sur la ville, sans signe de vie du concierge.
« A partir de maintenant, reste près de moi. La nuit va tomber très vite, et sur les toits, ce ne sera pas simple, en plus du fait que tu ne sais pas te battre ni avancer comme les Danseurs de Brume. »
« Merci, très aimable. »
Son rire me cueille. Un éclat clair, court, brillant. Je respire. Nous nous détendons.
« Tu n'en restes pas moins la plus importante. »
Je vire une fois de plus à l'écrevisse. Mathilde, tais-toi !
Miguel m'emboîte alors le pas. Pas le temps d'y réfléchir plus. Sauvée...

Mon lycée se trouve en plein centre ville, lieu que je connais assez, et pourtant, c'est lui qui me guide, marchant en silence à mes côtés, et me désignant les directions à prendre d'un petit mouvement discret du menton.
Nous nous sommes peu à peu enfoncés dans un quartier vide et froid, mon cœur se remet à battre plus fort. Nous avançons épaule contre épaule, lorsqu'il me prend la main et la serre. Nous sommes entre deux bâtiments de pierre blanche aux toits de tuiles bleu foncé. Et, entre les fenêtres et leurs corniches, s'élève une échelle de fer.
Je me suis arrêtée.
Rouillée, pas du tout rassurante.
Et puis, je ne lui ai pas dit, mais j'ai quelques soucis de vertige.
Le total boulet, quoi.
« Monte la première. » m'enjoint Miguel, regardant tout autour de lui, sur ses gardes.
Je frissonne encore un peu. D'appréhension, cette fois. Et j'obéis.
Finalement, la structure se révèle sûre et je me hisse sans trop de mal, mais avec la tête commençant dangereusement à me tourner, six mètres de hauteur, tout de même !
L'air est plus doux sur les toits.
Comme déshabillé des odeurs de la ville, peut-être aussi parce que l'on peut récolter ici les derniers rayons du soleil qui s'en va vers d'autres horizons, et que nous sommes dans un royaume de silence, apaisant.
Je me suis assise, c'est plus sage, et Miguel m'a rejoint.
« Ton monde est étrange, murmure-t-il, le regard perdu dans le ciel. Un mélange de beau et de laid, d'espoir et de désespoir. Les gens qui y vivent sont mornes et pourtant, vous êtes parfois capables de choses extraordinaires. »
« Parfois... » dis-je dans un soupir.
« Le ciel va bientôt laisser apparaître les étoiles. Dès que je serais assuré de ta sécurité, tu me montreras où se trouve l'écrin. »
Je ne peux m'empêcher d'avoir un hoquet.
« Quoi ?! »
« Quoi, quoi ? »
« Tu attends de moi que je t'indique où se trouve l'écrin de la clochette ?! »
« Chaque porteur le sait. »
Un silence. Je panique.
« Mais pour moi ce grelot n'est qu'un grelot ! »
Miguel se tourne vers moi, sourcils froncés.
« Tu ne me crois toujours pas ? »
« Comment pourrais-je te croire ? Tu débarques comme ça et me débites toutes ces choses mais qu'est-ce qui prouve que ce n'est pas juste une énorme blague ? Gabriel, Louna, ils n'existent pas. Ils sont inventés. »
« Ils sont les symboles des personnes réelles. »
« Et alors ? Ils restent imaginaires ! »
« Être imaginaire veut donc dire que ça n'existe pas ? »
« Pas dans le monde réel, en tout cas. »
« Et alors, je n'ai jamais dit qu'ils existaient dans ton monde. »
« Mais... »
« Mais rien, tu as peur et tu fais comme tout le monde, tu nies ce qui te dérange. »
« ... »
« On a le droit d'exister autrement que par les moyens de ton monde. Que fais-tu des mots ? De la musique ? Du cinéma ? Votre art n'est que le reflet de mon monde. Le rêve. Et je ne permettrais à personne de dire que je n'existe pas. Je suis un Rêvé, c'est autre chose. Allez, regarde-moi dans les yeux, et ose dire que je suis un fou que tu suis juste parce que tu me trouves drôle et mignon. »
Un silence. Je rougis.
« Que vous existiez ou non, je n'ai aucune idée de où caser mon grelot dans le ciel pour qu'il annonce le début et la fin des rêves ! »
Nah ! Même pas vrai, que t'es mignon.
Je te suis juste parce que...
Enfin bref.
Il soupire et lève les yeux au ciel, tiré entre bleu et or.
« Alors il n'y a plus qu'à espérer qu'une Fée nous vienne en aide. »
Je souris. Une Fée. Et puis quoi encore ? C'est reparti pour un tour...
« Et bien c'est possible ça, bonsoir à vous ! »
Miguel et moi sursautons d'un coup, je pousse même un petit cri de surprise.
Elle est là.
Juste derrière nous, enveloppée d'un long manteau gris, ses cheveux châtains caressés par la brise du crépuscule, ses yeux noisette pétillant du sourire à la fois timide et malicieux qui éclaire son visage.
« Qui es-tu ? » lui demande Miguel qui s'est redressé, prêt à se battre, je sens son corps tendu comme un arc.
« Doucement. Tu as demandé mon aide, alors je suis là. »
« Une Fée ? » risque-t-il en se détendant un peu.
J'hallucine. Un Rêvé et une Fée. J'ai dû fumer un pétard hier soir, et je suis toujours dans mon lit, en train de délirer les yeux fermés, Inès va venir me réveiller...
« Oui, je suis la Fée Sophie. »
« Et qu'est-ce que tu viens faire là ? » que je demande, non sans une certaine insolence, je dois l'avouer...
Elle plisse les yeux, son sourire devenant une virgule au coin de sa joue, pas du tout vexée.
« A vous de le savoir, c'est vous qui voulez de l'aide ! »
Je ne réplique pas, c'est Miguel qui prend les devants. Il a l'air de croire à tout ça, lui.
« Nous voudrions savoir où se trouve l'écrin de la nouvelle porteuse de la clochette des rêves. »
« Oulah, c'est pas n'importe quoi ce vœu. Je m'en doutais bien vu ce qui se joue ce soir. Et les Croqueurs vont bientôt débarquer, je m'en doute aussi. Alors faisons vite. »
« Hein ? Les Croqueurs ? » relève Miguel, de nouveau en alerte.
« Oui, mais c'est à vous de le vivre, pas moi. Donc une chose à la fois. Bon, ce coup de pouce. C'est simple : le cœur des hommes est pareil aux étoiles, et ce sont les rêves qui donnent de l'espoir à ces étoiles. La musique, elle, peut appeler les rêves, et le seul lieu où elle est véritablement entendue, c'est dans le cœur des hommes. L'écrin est juste l'écho de la clochette. Ah mince, ils vont arriver, j'y vais ! Bonne chance ! »
Et elle a disparu. Comme ça.
Pouf !
Accompagnée de pétillements de lumière qui se sont dilatés dans la nuit en quelques secondes.
Puis plus rien. Juste la nuit.
Je cligne de nouveau des yeux. J'entends mon cœur battre lentement la mesure de mon souffle, je suis en suspens.
Je suis restée totalement béate devant ce que je venais de voir un long moment, jusqu'à ce que Miguel se mette à me crier dessus, en fait.
« Mathilde, ils sont là !!! Elle a dit vrai ! Les Croqueurs de Songe sont là, fuis !!! Mathilde, fuis ! »
J'ai repris conscience de moi-même et du monde en apercevant cette meute progressant à la vitesse de la lumière vers nous.
Les Croqueurs de Songe.
De la taille de gros chiens, la fourrure d'un gris sale, des yeux fendus habités d'un air aussi féroce qu'indifférent aux plaintes et à la douleur, une gueule garnie autant que celle d'un crocodile, souples et terriblement vifs.
Je n'en ai compté qu'une dizaine avant qu'un instinct de survie improbable me lance, toutes jambes à mon cou, dans la direction opposée, pour courir le plus loin possible d'eux.
Tout commençait à défiler devant mes yeux ouverts, l'arrivée de Miguel, notre discussion, notre marche dans la ville, son regard, son sourire, et moi, et moi...
Qui n'avais rien fait que de me plaindre, que de nier, de tergiverser, d'essayer de ne pas exister dans cette histoire.
Je cours encore quand les premiers cris de Miguel déchirent la nuit. Je me retourne tout de suite, terrifiée.
Il est à des dizaines de mètres de moi, pourtant je vois briller son courage, seul face à la multitude de crocs et de griffes qui fusent vers lui, muni d'un sabre qui sort de je ne sais où, fait d'une courbe argentée qui s'élance de tous les côtés, fière et rapide, tentant d'endiguer toutes les attaques des Croqueurs de Songe.
Ses cris sont des appels à la rage de vaincre, des cris de guerrier, pourtant, au fond de moi, s'installe cette évidence : il n'a aucune chance.
Peut être n'aurais-je rien dû mettre en doute, mais au moment où cette pensée éclot en moi, Miguel est fauché par un revers puissant, l'envoyant rouler sur le toit, au risque de le faire tomber au sol, à six mètres de nous.
Mon cri rappelle à nos adversaires ma présence et dévoile ma position.
Triple sotte !
Se détournant facilement de Miguel qui, je crois, a réussi à se rattraper à la gouttière, les bêtes s'élancent dans ma direction, aboyant, bavant par avance du plaisir que leur procurera ma chair entre leurs dents.
Je ne bouge pas, trop inquiète pour Miguel que je ne vois toujours pas resurgir sur le toit. Je voudrais l'appeler, lui crier qu'il peut y arriver, mais mes mots sont restés dans ma gorge serrée.
J'arrête presque de respirer...
Bond fulgurant, cri puissant, une silhouette atterrit souplement sur la ligne des tuiles d'un toit à plusieurs mètres de moi.
Un regard vert.
Déterminé.
Une peau caramel.
Miguel.
Les monstres sont presque sur moi, je n'esquisse aucun geste de repli ni de fuite. De toutes façons, je suis ne suis pas du genre à pouvoir me faire le marathon des toits d'Amiens !
Non, il faut que je trouve l'écrin avant qu'ils ne soient là.
Vite.
Très vite !
Fée Sophie, aide-moi...
« L'écrin est juste l'écho de la clochette. »
Je lève les yeux vers le ciel.
Miguel vient d'arriver à mon côté, courant encore pour s'interposer une nouvelle fois. Un pied devant l'autre, il défie des yeux les bêtes qui se sont arrêtées à quelques pas de nous.
Un silence et moi toujours la tête dans les étoiles.
« L'écrin est juste l'écho de la clochette. »
Je dois y croire.
« Qu'une fée nous vienne en aide... »
Mon murmure est aussi vibrant que si j'avais hurlé, comme un aveu qui prend une bonne partie de nos forces...
Auréole de lumière.
« Je suis là ! Oh ! Mince... »
La Fée, toujours dans son manteau gris, vient d'apparaître à côté de Miguel qui ne bouge pas d'un cil, son épée tendue vers ses ennemis vociférant d'impatience.
« C'est quoi ton vœu, miss ? » me demande-t-elle en se tournant vers moi, légèrement pressée.
Je souris. Un peu plus sûre de moi.
« Aide Miguel. Je sais que les Fées ne se battent pas souvent, mais là, c'est urgent... »
Sophie éclate de rire.
« Nous, pas nous battre ? Tu vas voir ce que tu vas voir ! »
Elle sort alors du col de son manteau un collier serti d'un pendentif représentant un éléphant blanc.
«  Allez, Leeloo, à toi de jouer !!! »
Les mots de la Fée deviennent des bulles se détachant de sa bouche pour venir se déposer sur le pendentif qui s'illumine.
Une respiration plus tard, l'éléphant blanc prend vie devant nous.
Haut comme deux fois Miguel, blanc et rond à souhait, l'œil serein et la démarche majestueuse, Leeloo s'avance devant la ligne des Croqueurs de Songe, confiant.
Les chiens de la nuit baissent les oreilles, intimidés, mais sans arrêter de cracher et de gratter la terre d'un air avide.
Je laisse de côté tout cela.
Il faut que je me concentre.
« L'écrin est juste l'écho de la clochette. »
Les étoiles brillent, aux intensités différentes et créant une palette de lumières scintillantes dans un bleu quasi noir maintenant, je n'entends que le ciel désormais, son silence et son chant.
« L'écrin est juste l'écho de la clochette. »
Mes doigts se referment sur mon grelot. Puis, doucement, je détache mon collier de mon cou et tiens la petite clochette devant moi.
Et je la fais sonner.
Tendrement.
L'écho fourmille d'un éclat clair et doré, s'étalant dans le monde, solitaire et joyeux, se propageant comme une onde de lueurs éternelles.
Étincelles de vie dans le son et autour de moi.
J'entre dans le creux créé par le tintement du grelot, je me sens décoller du sol, totalement hors du monde.
Ou juste à sa plus grande frontière.
Entre les mondes.
Le mien et les autres, invisibles.
Au milieu de la mélodie des rêves.
Je ne peux pas voir que Leeloo, à l'aide de fulgurants barrissements et de coup de pattes sur les toits, fait reculer peu à peu les Croqueurs de Songe qui ne peuvent rivaliser, tentant de lui sauter à la gorge, mais c'est sans compter sur la vigilance de Miguel qui se déplace avec la vivacité d'un chat pour former une véritable bulle de protection autour de l'éléphant blanc.
Je suis à présent suspendue à un mètre du sol, le corps pendant et les yeux remplis d'étoile.
Ma petite clochette se met à briller d'elle-même et à s'élever dans le ciel, telle une étoile filante retournant chez elle.
Et avec elle, une part de ma force s'échappe de moi, me retirant ma lucidité et ma maîtrise de moi-même.
Alors que le grelot s'en est allé dans l'immensité de la nuit, à l'aube des temps, là où il pourra exercer sa fonction première, les Croqueurs de Songe hurlent.
Un hurlement de douleur.
Échec.
Leurs cris n'ont pas le temps d'être entendus dans tous les alentours qu'ils se diluent dans l'air, laissant à Miguel et à Leeloo le spectacle de leur disparition dans le néant.
Jusqu'à ce qu'un nouveau porteur se présente à la porte des mondes.
Miguel est sur le point de pousser un cri de victoire lorsqu'il se retourne dans ma direction et me voit, inanimée au-dessus du sol, en train de redescendre peu à peu.
Il se précipite et me récupère. J'ai perdu connaissance.
« Mathilde ! Mathilde... Parle-moi... »
Derrière lui, Leeloo émet un dernier barrissement satisfait avant de redevenir le pendentif sur le cou de Sophie. Cette dernière finit par s'approcher de Miguel et de mon corps.
« Déposer la clochette demande un effort très important, il lui faudra du temps pour s'en remettre. »
« Elle va bien ? Dis-moi qu'elle va bien ! »
« Oui, laisse-la se reposer. Oh, regarde ! »
Tout autour de nous, tels des filets garnis de paillettes de toutes les couleurs, des bulles s'élèvent, passent à travers les toits et tout ce qui pourrait les empêcher de monter dans le ciel.
Les rêves.
Libres d'aller là où on les attend, dans des mondes où ils pourront grandir et changer des vies.
Les rêves de toute la ville...
Du monde.
Mais Miguel ne s'en soucie pas une seconde, il est toujours penché vers moi, tenant mon visage dans sa main et de l'autre me serrant solidement contre lui.
« Je vais vous laisser. J'ai réalisé assez de vœux pour aujourd'hui. Et moi aussi je dois me reposer un peu. »
Miguel lève un instant les yeux vers elle, reconnaissant.
« Merci pour tout. »
« Je n'ai fait que mon travail de Fée. »
« Salue ta reine pour moi. »
« Oui, je n'oublierai pas. »
« A bientôt ... »
« Peut-être, qui sait ! »
Et elle disparait en une centaine d'éclat lumineux, dans une douceur enchanteresse.
Miguel se concentre à nouveau sur moi, je gémis, fronçant les sourcils devant ma difficulté à revenir à moi.
« Mathilde ? C'est Miguel... oui, réveille-toi ! »
« Hum... J'ai la tête qui tourne... qui tourne... »
« Sophie a dit qu'il te faudrait du temps... »
« Sophie... Elle … Vous avez réussi ? … Et les Croqueurs ? »
« Nous avons tous réussi, Mathilde. Toi la première. Tu as déposé la clochette des rêves et les Croqueurs de Songe sont repartis dans le néant d'où ils venaient. »
« Je... c'est vrai ? J'ai réussi ? »
Le garçon me sourit. Un bol d'air pur versé sur mon cœur.
« Regarde autour de toi ... »
J'ouvre maintenant entièrement les yeux. Et les rêves qui s'envolent de partout, frêles et forts à la fois, bulles de couleurs et de vie s'élevant vers les hauteurs, me font l'effet d'un onguent apaisant.
Des rêves...
« C'est magnifique... » dis-je, émerveillée.
Miguel, au-dessus de moi, ne m'ayant pas quittée des yeux, murmure :
« Oui, magnifique. »

***

Silence.
Inspiration.
Libération.
Partage.
Un chemin.
Qui continue.
Un peu plus loin.
Là où vous le mènerez.

***

Louna se réveille avec lenteur.
Elle se délecte des derniers souffles de son rêve.
Deux noms qui résonnent en elle.
Un sourire.
« Belle route à vous deux. »
La pensée, sincère, s’échappe vers la réalité.


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