dimanche 24 avril 2011

- Voyage Intérieur -

Voici un rêve-cauchemar que j'avais fait et dont la seule manière de m'en délivrer, avait été de l'écrire. Il y a donc quelque chose de profondément intime dans ces mots, tout en ayant une approche fantasy qui déguise tout et qui rend le sens du rêve inaccessible à ceux qui ne peuvent en comprendre le "code".

Même c'est d'une certaine tristesse et d'une certaine douleur, j'aime le lire.

Enjoy !






Je suis dans une cage blanche. Une bulle vide, uniforme, infinie, blanche. C'est mon pire cauchemar. Il n'y a rien, c'est un monde nu, mort. Et moi, inerte, un corps sans force, un esprit sans force, une âme blessée. Dans ce silence, tout m'encercle, tout n'est qu'oppressant. En fait il n'y a rien d'autre que ce nuage noir, violent, remplit d'éclairs déchirants. Ce banc de brume m'entoure toute entière, m'étouffe, coupe mon esprit à son accès à la liberté : le rêve. Je ne peux plus créer, ne peux plus bâtir, parler, espérer, respirer, vivre. Je veux crier, mon cri ne peut pas sortir de ma gorge serrée, ce nuage rend mes yeux secs, je ne peux pas non plus pleurer. Je me sens morte en étant toujours vivante.
Ce vide de vie autour de moi m'affaiblit petit à petit, et le nuage du néant progresse, n'a qu'un but, m'engloutir. M'engloutir de toutes ces voix que je ne peux plus entendre, de tous ces mots qui ont percé mon coeur, de ces attentions que je n'aurais pas dût accepter, ce visage qui m'a rendue esclave de sentiments, qui maintenant, n'ont aboutit qu'à ce vide blanc, qu'à ma mort.
Oui, dans ce nuage, là, entre ces éclairs violets et cette brume épaisse, sombre, il y a sa voix, ses mots, ses gestes, son visage, lui. Et je n'ai plus d'arme. Je n'ai plus aucune main amicale pour me relever, de visages forts pour m'insuffler à nouveau un espoir de vie. Patte Blanche est morte sous mes yeux, impuissante, s'évanouissant sous pouvoir résister au néant, ne pouvant plus tenir sa lame fermement, ne pouvant plus me rejoindre... Oui, elle est comme morte. Je suis seule, je suis vide, je suis faible. Morte dans cette cage blanche, enfermée avec ce nuage qui ne veut que m'engloutir, et bientôt, je ne pourrais plus faire barrage.
Où êtes-vous ? Oui vous, personnages qui me sont chers, faits de réel et d'imagination, comme je suis faite de chair et d'esprit ? Venez, revenez, aidez-moi, relevez-moi, prenez-moi la main, dressez une armée qui me fera rempart, venez tous, sauvez-moi.
Je m'attends à eux, je ne peux que ça. Si peut-être, je peux peut-être faire une ultime chose : la musique. Réveiller cette créature fantastique, cette poésie du coeur humain. Je n'ai plus de moyen matériel pour la trouver, il ne me reste que ma mémoire. Musique, musique, souviens-toi de moi, renaît, revis, rechante et redanse en moi. Fais de nouveau circuler le sang dans mes veines, devient ce sang, devient le sursaut de mon coeur qui veut battre.
Ca y est, elle est là, elle s'étire lentement, baille et ronchonne, puis, enfin, se lève en moi. Oui, la musique, des sentiments vivants, des notes voyages, une invitation au rêve. Il ne faut pas que je rate le départ de ce vaisseau, il faut que je m'y accroche, que je me laisse emporter. Mon corps ne peut toujours pas bouger, pourtant j'entends, pourtant mon esprit s'efforce de sortir de cette léthargie fatale. Je veux rêver. Je veux vaincre. Je veux créer, je veux effacer ce nuage, même si une partie de moi doit être sacrifiée avec lui. Il le faut.
Sinon le nuage deviendra un trou noir aspirant tout mon univers. Alors j'écoute, je m'imprègne, je façonne mon esprit en une flèche de volonté, j'ouvre mes sens, les mets en éveil, je commence à me battre. La musique est là, elle est vivante, elle est en moi, avec moi. Elle forme une écharpe de lumière, un halo de force et d'espérance, tout autour de moi, le squelette d'une armure sur mon esprit.
Comme le fleuve découle de la rivière, le rêve se forme et puise une once de vie dans la musique. Il ne me demande que de lui offrir un peu de force, un peu de vérité, encore un peu de vie. La musique m'emporte, elle est assez forte pour me protéger un moment. Je peux le faire naître. Créer un rêve assez puissant pour vaincre le nuage.
Je reste dans cette bulle vide, mais je ne renonce pas. D'abord chercher des visages amis. J'ouvre de nouveau les valves de ma mémoire. Trouver dans tous ses cours d'eau des êtres puissants, rassurants, capable d'aller affronter le nuage à ma place. Le nuage qui gronde, qui me sent reprendre courage. Mais la musique agit, et sa lumière est un aura sur ma peau. Rêver. Il me faut rêver. Oui, mémoire, ouvres-toi. Ca y est, je les vois, ils sont là, leurs portraits sont figés, il me faut les animer.
Patte Blanche. Grande guerrière aux yeux aussi profonds que des abysses, esprit de force pure, formes fougueuses, un être libre. Femme enfant, femme tout court, elle a plusieurs visages mais une seule identité. Reine d'horizons vastes, d'hommes braves, de palais ancestraux, elle représente une grande part de moi même : le lion. L'aventurière, la mystérieuse, l'impétueuse, la magnifique, Patte Blanche.
Je me concentre sur son visage en même temps que des tambours dans la musique bouillonnent. Ses yeux noirs et décidés, sa chevelure sauvage qui lui tombe sur les épaules et dont quelques mèches barrent sa joue, ses hanches inclinées, son corps arqué, la ligne nette de ses traits, l'aura d'une puissance écrasante qui l'environne entièrement, la lame d'argent qui se tient toujours entre ses deux omoplates, prête à servir. Patte Blanche, la guerrière, la reine, le lion, moi.
Je la matérialise dans ma bulle-prison. Son coeur bat au rythme du mien, la sérénité commence à couler en moi, je redeviens maître de moi-même, de ce monde, de cette bulle. Le nuage est encore plus foncé, se gonfle de rage, grossit, grossit, s'élève dans les hauteurs non dessinées de cette cage vierge. Il veut décupler ses forces face aux miennes qui reviennent, il veut briser la lame de Patte Blanche qui va bientôt sortir de son fourreau, il veut transpercer le rempart brillant de la musique, il veut terrasser mon esprit, définitivement.
Mais Patte Blanche est là, et le rêve prend forme, prend vie. J'ouvre de nouveau les portes de ma mémoire, elle ne peut pas rester seule comme cela, alors que je peux à nouveau combattre. La musique me soutient, le rêve sera riche et puissant, je le sais, je livre mon ultime bataille sur les champs de l'imagination.
Aux côtés de Patte Blanche arrivent bientôt Grand Ours, Loup Bleu, Laï, Ethan, Liuhäns, Aïneo, Ëholyün, Tiona, Pauline, Wilaya, Albëus, Laïmanör et même Naëj le Fondateur, le premier grand roi de mes mondes. Tous ces héros sont suivis de leurs alliés, humains ou pas : Dimitri Taïg, Meïlide, Awil, le légendaire Caël Von Dïr Saluätor, grand Mutatio des Airs, et tous ses pairs faisant partis de sa puissante race, Asmëlankän et la tribu des Ëvana sont là, Pégasiers et Griffons commencent à se disputer un ciel qui n'existe pas encore, le Dragon n'est plus très loin, les Grands Lions courent ensemble d'un même front, des animaux en tout genre apparaissent un peu partout, mon peuple avance. Le monde Ignotalïs se range tout autour de moi. Je foisonne d'êtres prêts à prendre les armes, et à perdre une vie pour moi. Mais ils sont tous coincés dans ce blanc total, perdent de leur vérité. Je dois chercher mon champ de bataille.
La musique me guide, élance mon esprit vers des horizons immenses. Une herbe verte et courte pousse sous les pieds de mes personnages, un ciel d'un bleu limpide est colorié, des montagnes lourdes se redressent et nous encadrent, un soleil d'or pur jaillit, un vent jeune parcourt la vallée, la voix féérique de la terre commence à vibrer, et la musique est totalement ancrée dans le rêve, il ne lui manquerait que d'avoir un visage.
J'ai ainsi aligné tous mes combattants. Mes héros, mes peuples, mes animaux, mon monde est vivant, et il se battra. Il y a donc maintenant un tableau vivant d'un côté, et de l'autre, le nuage noir et violet d'éclairs. Il est devenu un mur étendu d'un infini à un autre, une créature fumante, grondant, bouillonnant, vibrant de colère et d'envie de destruction. Ce néant tente de grignoter des pans de mon rêve, de le mordre, de l'attraper et de le griffer, mais la teinte lumineuse de la musique qui l'enveloppe l'en empêche.
Mes personnages commencent à marcher droit devant. Ils sont dans le rêve, existent par lui, ils sont mon rêve. Une voix chaude s'élève dans la musique, des cors l'enlacent de leurs bras, des violons scintillent derrière, les vents font respirer la mélodie, les cordes la rythme, et ce tambour, clair et roque à la fois, vibre, retentit, vit.
Je suis toujours un corps inanimé dans cette cage immatérielle. Une jeune fille blanche dans un monde maintenant coloré, remplit d'êtres humains ou non, de paysages infinis, et de cette musique. Je suis en haut d'une de ces montagnes, allongée, les yeux fermés. Personne ne sait que je suis là, personne ne voit ce corps perdu dans les hauteurs sur un lit d'herbe. Et pourtant, en bas de ces montagnes, les Ignotalïs avancent toujours. Leurs pas battent le rythme du tambour, tout est comme je le veux, tout comme je le rêve. Mais il y a quelque chose qui manque.
Quoi ? Je suis à toutes les limites du Possible. Mon esprit est parvenu à soutenir un rêve totalement fou, qui puise dans ma mémoire la musique et toutes les connaissances nécessaires à toutes ces créations, il est au bout de ses capacités. Que puis-je faire de plus ? Créer sur le tas de nouveaux personnages ? Non, il n'y a que le temps pour donner de la force et de la vérité à un personnage. Je dois en trouver d'autres, déjà prêts, qui paraissent déjà véridiques à mon esprit, qui sont dans une mémoire beaucoup plus puissante que la mienne : la mémoire collective, la mémoire des hommes, un réservoir où chacun peut aller puiser une force quelle qu'elle soit.
Je souris. Mémoire, mémoire, le puits des abîmes. Pour certains, c'est plus facile, le cinéma leur a offert des visages tout frais, nets, que je peux facilement retranscrire en moi. Oui, vous aussi, vous les connaissez, sentez leurs forces à travers l'image, à travers vous-mêmes, vous êtes prêts à leur dire : « Oui, vous existez. ». Quelque chose change en moi. Comment expliquer ? J'ose. Oui, j'ose créer, inviter, faire ce que beaucoup désirent mais ne peuvent avouer : j'appelle les rêves des hommes, ouvre les frontières de mes mondes aux leurs : tout se mélange, tout n'est qu'un brassage, mais le rêve tient bon !
Je visualise les traits puissants et dorés d'Aslan, le Grand Lion de Narnia. Ses yeux de feu étincellent dans ma vallée, sa crinière enflammée est un soleil pour tous ceux qui se tiennent non loin de lui, il a les muscles bandés, les oreilles en arrière, prêt à bondir et à rugir. Des centaures arrivent à sa suite, des faunes, des dryades, encore des griffons, des ours et des guépards, quelques licornes, même des minotaures, des nains, c'est le monde de Narnia qui le suit, car il est leur lumière.
Je frissonne devant le regard gris d'Aragorn. Il porte l'armure des rois du Gondor, a l'arbre d'argent qui scintillent sur sa poitrine, une couronne fine qui pare son front, l'épée décochée, monté sur un cheval noir et fidèle. Et son armée le suit, pas à pas, portant des étendards enlacés par le vent, les armures argentées brillant sous un soleil clair. Des cloches ont sonné auparavant et, non loin de la première armée, avance le peuple des chevaux, progressent fièrement la grande cavalerie des Rohirrim. La musique est vivante, je retrouve les thèmes musicaux leurs correspondant à chacun. Les violons accélèrent, les cors tempêtent, je commence même à apercevoir des Elfes, de bleu et de gris vêtus, s'alignant peu à peu aux côtés des hommes, magnifiques archers aux yeux aussi précis que ceux des Grands Aigles qui poussent des cris perçants dans le ciel. Une part de la Terre du Milieu est entrée en moi. L'armure de mon esprit se solidifie, deux visages brillent clairement dans ma mémoire, deux hommes vieux, l'un avec sa pipe quasi légendaire coincée entre ces dents, et l'autre les yeux tout aussi pétillants, Tolkien et Lewis, deux grands amis, deux grands Créateurs.
Ce n'est pas tout. Une écharpe de brume traverse les frontières de mon monde : un autre être libre, une femme, un oiseau. Ellana la marchombre, calme, souple, sauvage. Derrière elle arrivent son fougueux apprenti Salim, Edwin, grand Maître d'armes, Ewilan, Dessinatrice absolue, Bjorn et sa hache joyeuse face à une promesse de bataille qu'on n'oubliera jamais, Chiam Vite qui rejoint d'un côté les Elfes de Tolkien, les héros de Gwendalavir prennent leurs marques se présentent à leur tour face au nuage.
C'est l'apothéose. Tout est possible. Tout monde assez complet pour que je puisse le voir peut venir, peut m'enrichir, peut me protéger. Ma mémoire n'est plus une rivière, c'est une cascade. Mon rêve n'est plus mon rêve : il peut appartenir à tous. Mon monde n'est plus mon monde : c'est le monde, le monde des rêves des hommes.
Maintenant, je n'ai plus peur. Je suis de nouveau moi, je suis dans ma création, je suis Patte Blanche, je suis dans tous ses personnages, qu'ils soient de moi ou pas. Je puise en eux toute la force possible, toute la fougue dont on peut faire preuve, toute la puissance que l'on peut contenir, toute l'énergie que l'on peut imaginer. Je rêve. J'espère. Je vis. Ils sont là, je suis là, il ne reste plus qu'à vaincre.
Cette formidable mer d'êtres de mondes différents avance ensemble, d'un même front, ma peau blanche rosie sur mes joues, je sens la chaleur de leur souffle, je ressens ce qu'ils sont, leurs coeurs battent par le mien, une envie d'ouvrir les yeux dans mon propre rêve commence à m'emporter comme une vague.
La musique claironne, l'armée bouillonne, et le nuage gagne malgré tout du terrain. Alors que je reste ce corps inerte en haut d'une montagne, je sais que je dois accepter le nuage dans ce rêve. Pour que je puisse maîtriser une partie du nuage, qu'il se plie à mes lois, et que l'armée qui progresse à sa rencontre, puisse le combattre.
Le nuage frappe, pousse, éructe, fait pression, mais c'est de moi-même que j'ouvre le rideau scintillant de la musique. Sa réaction est immédiate : il s'engouffre dans le piège que je lui tends. Sa fumée de velours s'insinue au dessus de l'herbe, ses bancs de brume épaisse se dressent jusqu'aux cieux, deux concentrés d'éclairs violets semblent lui donner un regard de foudre. Je suis tout au fond, sur ma montagne, allongée, pourtant je me sens de nouveau frissonner.
Une brise de mon rêve me caresse la joue, il faut que j'ouvre les yeux. J'ouvre enfin les paupières, la lumière du soleil ne m'aveugle même pas, je contrôle sa force. Du haut de ce mont, je me redresse lentement, une jambe après l'autre, les doigts de l'astre du jour parant ma peau d'un éclat doux, j'ai les yeux brillants, je suis debout, mais je parais si frêle, un galet blanc devant une étendue d'eau voulant se fracasser contre moi.
Mais il faut que je sois victorieuse de ce combat, même si je dois moi-même prendre les armes. Le grondement sourd du nuage s'élève comme un rire malfaisant. Toutes les armées sont déchaînées, Aslan court et rugit devant beaucoup de ses sujets, les cors du Rohan ont sonné la charge, les lances sont pointées droit devant, les animaux de combat ont la gueule ouverte et commencent à gober de l'air avant la chair immatérielle du nuage, les centaures ont fait chanter leurs épées, les Grands Aigles poussent des cris encore plus perçants et piquent droit pour ouvrir la voie aux griffons et aux Pégasiers. L'armée du Gondor s'étend sur une grande partie de la plaine, Aragorn en tête, la Garde Ancestrale Ignotalïs est dans les premiers rangs, Naëj le Fondateur guide une aile de l'infanterie de mon monde, Chiam Vite prépare une pluie de flèche acérées aux côtés des Elfes qui visent sur leurs chevaux lancés au triple galop. Les personnages de Gwendalavir, Ellana, Edwin, Bjorn, Salim, chevauchent, le sabre, les poignards ou la hache décochés et brandits vers le ciel, pendant qu'Ewilan créer des langues de lumière volants directement vers le nuage, lancées comme des flèches de lumière vivantes. La cohorte des Grands Lions fonce d'une seule ligne avec à sa suite tout le clan des Eväna, Caël Von Dïr Saluätör, avec le soutien de ses pairs, les encadrant. Et à la pointe de tous ces mondes, chevauche Patte Blanche, libre, belle, forte.
Elle est la première à atteindre le nuage qui, depuis quelques instants, s'est stoppé et les attend. Le choc est phénoménal. De la terre comme du ciel, un front immense se forme.
Le vacarme du choc se fait écho dans mon esprit tout entier, la partie peut commencer. Alors que toutes les armées, que tous les combattants font front, à chacun de leurs coups qui fendent des pans de nuage, la brume sombre réapparaît, se reforme toute aussi sûre et toute aussi perfide. Les doigts du nuage se mouvent comme des tentacules mauve et transparents. Patte Blanche coupe bien des tentacules de fumée, mais justement, sa lame broie du vide. Ce néant n'est que de l'air coloré, un être au corps intouchable. Une vague de peur se déverse sur mes héros. Même Aragorn commence à reculer, car si les tentacules sont de brume, elles claquent et écrasent ses ennemis, sans que ces derniers ne puissent répliquer. Aslan tient toujours bon, Ellana bondit et laisse chanter son poignard, mais en si peu de temps, un doute terrible s'installe. Ils combattent simplement pour ne pas être tué.
Un nouveau cri sinistre ressemblant à un rire malsain émane du nuage. Je suis debout derrière mes armées, et je ne peux rien faire, je ne peux pas rendre le nuage de chair ou d'une autre chose qui le rende vulnérable. Ses yeux de foudre sont rivés sur moi. Seulement moi, comme si tout ces mondes agglutinés sur lui ne seraient que de futiles mouches.
Mon coeur court des deux côtés de ma poitrine, oui, j'ai peur. Dans tous mes rêves, je suis victorieuse. Est-ce le premier où je vais essuyer une défaite ? Mais l'enjeu est trop important ! Si je perds, mon monde sera anéanti, fini les mots, fini l'écriture, fini le rêve, fini l'espoir...
Je ferme les yeux avec force. Il me faut chercher. Il doit y avoir une solution. Mais le nuage en décide avant moi. Je n'ai pas le temps d'aligner une nouvelle pensée qu'un grondement terrible fait trembler toute la vallée, renversant tous les combattants au sol. Je suis la seule, plus éloignée, qui résiste à la secousse. Alors, de mes yeux ouverts, je vois le nuage.
Il se repli sur lui-même avec des râles ressemblant à des voix de fantômes, il devient un bloc noir, une masse volumineuse plus dure, concentrée d'éclairs et d'une brume maintenant presque crémeuse. Au centre de cette masse informe, des lumières violettes jaillissent, l'épicentre du premier grondement venait de là.
J'ai les yeux fixés sur les pans du nuage qui commencent à s'ouvrir comme deux voiles de rideau au début d'un spectacle. Une lumière terrifiante s'émacie de ce qu'il y a à l'intérieur du nuage, toutes les armées ont reculé, un large terrain d'herbe vide s'étale devant lui. Le nuage s'ouvre de plus en plus, la lumière de son être intérieur est aveuglante, tous dans la vallée se protège d'un bras les yeux.
Je ne tiens presque plus, je suis debout, mais je perds pied. Soudain, tout s'arrête. La lumière du nuage s'éteint subitement, un silence incongru retentit partout dans la vallée. Personne ne sait quoi penser, ne bouge d'un poil ou d'un cil.
Je m'use les yeux à regarder à l'intérieur de la part éventrée du nuage, plongée dans une obscurité quasi totale. Il y a une forme indistincte, un point avançant nettement.
Alors, dans un silence de plomb, sous la faible lumière de mon soleil, devant des milliers de personnages, il sort du nuage.
Lui.
Ce visage. Ces yeux noirs. Cette peau délicatement mat, ces cheveux noirs et cette silhouette agréable à l'oeil, lui.
Il est vêtu comme la dernière fois que nous nous sommes vus, sa démarche est sûre, calme, souveraine. Des premiers qui le voient, Patte Blanche tressaille. N'est-ce pas là son ancien apprenti, Aigle d'Or ? Ce beau jeune homme n'est-il pas celui en qui elle avait déposé une foule d'espoirs ? Un garçon doux et vigoureux, intelligent et patient, prompt aux éclats de rire comme aux mots sérieux ? Oui, Aigle d'Or, n'est-ce pas lui ?
Il marche droit devant lui. Il traverse la mince frontière entre le nuage et la grande armée. Tout n'est que souffle suspendu au dessus du temps.
« C'est lui ! C'est lui ! » crient mon coeur et celui de Patte Blanche.
Le garçon, aux mouvements fluides et doux tout à la fois, passe à côté de la reine guerrière, leurs regards se croisent.
« Adieu pour de bon, mon tendre maître. J'aurais voulut vivre un millier de vies à tes côtés, et ne faire qu'apprendre de toi, puiser en toi toute la force et la sagesse qui t'animent. Pardonne-moi, mais le choix a été fait. Je dois m'y plier. Pour toi, pour elle. Pardonne-moi, Patte Blanche ! » murmurèrent les yeux du jeune homme en quelques secondes aussi longues que des journées sous un soleil brûlant.
« Aigle d'Or ! Mais que faisais-tu dans ce néant ? Mon apprenti ! Tu as été une étoile dans le ciel de ma vie ! Une présence qui m'a donné à nouveau le courage de me battre ! Pourquoi en est-il ainsi ? Ne pars pas, n'y vas pas, refuse ! Elle ne pourra jamais faire ce que tu vas lui dire, elle... ! »
Mais le garçon à la peau mat ne s'arrête pas de marcher et lui tourne maintenant le dos, et Patte Blanche n'a pas la force de lui courir après, de lui attraper le bras et le regard, de le retenir.
Aigle d'Or, l'apprenti de l'illustre Patte Blanche, avance sur la plaine, parmi ces hommes et ces créatures de tout monde différent, et chacun s'écarte devant lui, le laisse passer, il porte Lan-Dör dans son dos qui est restée dans son fourreau, pourtant à sa démarche on devine qu'il n'hésitera pas une seconde à l'en faire sortir.
Il continue de progresser sur la plaine, toute l'armée est maintenant derrière lui, le soleil revêt son teint d'un halo doré, ses yeux noirs en amande pétillent tristement, il vient, il vient vers moi, vers ma montagne.
De là haut, j'ai tout entendu, tout ressenti, tout refuser de croire.
Il ne faut pas qu'il arrive jusqu'à moi, je ne dois pas entendre ce qu'il à me dire, il ne doit pas...
Il est au pied de ma montagne. Son regard noir dans le mien. Ses lèvres doucement rosées ne bougent pas, il y a juste ses yeux en amande qui me fixent, qui tissent à nouveau ce lien, cette courbe de lumière qui relie nos deux coeurs. C'est une succession de vagues chaudes sur les plages de mon coeur qui s'anime en moi, qui me rend entière à moi-même, qui me rend forte, belle, vivante... il me regarde.
Le jeune homme, sans me quitter des yeux, prend une légère impulsion, tend son dos et son cou, ouvre les bras, et s'envole. Il vole, son visage très près de la roche, sans me quitter des yeux, il monte vers moi.
Ca y est, il est là, suspendu dans l'air, son visage vers le mien, je recule de quelques pas, il se pose sans soulever une seule poignée de poussière, il me regarde, il me regarde, je voudrais qu'il arrête, j'ai peur, j'ai peur....
« Laurine... »
Son souffle est chaud, sa voix douce, ses yeux brillants, il me tient la main, je ne m'en rend presque pas compte.
« Nous savons tous les deux pourquoi je suis là... »
« Non, je ne sais pas, moi. » affirmais-je. Il faut que je garde espoir, il faut que je mente, qu'il me mente...
« Ce nuage, tu ne peux pas le vaincre. »
« Si. Regarde, regarde tous ceux qui sont là pour moi. Pour nous. »
« Tu aurais beau créer encore et encore, puiser en toi toute la force possible, tu ne peux pas. Ce nuage, tu ne veux pas le vaincre. Il fait partie de toi. »
« C'est faux. Je veux le détruire. C'est lui ou moi. Lui aussi, il veut me détruire. »
« Laurine... arrête... »
Il me tient contre lui. J'ai son odeur, sa peau, il est là. Je l'aime.
A présent, tout n'est que murmure entre caresses tendres dans une forte étreinte.
« Ce nuage, c'est moi. Ou plutôt, c'est Lui. A l'intérieur du nuage, il y a tous tes souvenirs, tous les espoirs que tu avais de Lui, tout l'amour, oui, cet amour immense, inconditionné, que vous vous êtes portés l'un pour l'autre. Si tu laisses le nuage ici, il détruira tout de l'intérieur, il te détruira, te rongera jusqu'à ce qu'il ne reste rien de toutes ces pairies, de ces cours d'eau, de ces peuples, de ces races, qu'il ne reste plus rien de toi. Ne le laisse pas faire ça ! »
« Mais je t'aime ! Je t'aime ! Je l'aime encore ! Non ! Si tu disparais... je ne pourrais plus jamais... »
« ... plus jamais ? »
« Rêver. »
Un sourire triste se dessine sur sa bouche.
« Mais si. Tu as ce don, cela fait partie de toi, que je sois là ou pas. Tu pourras commencer une nouvelle histoire. »
« Même si lui je ne peux pas le voir, toi, je peux. Pourquoi ne pas détruire le nuage sans que... tu dois rester ! J'ai besoin de toi ! Aigle d'Or... ne me laisse pas... pas toi... »
« Tu m'as créé à partir de Lui. Je suis ce qu'il a été, et ce que tu voudrais qu'il soit encore. Si je reste, je ne serai qu'un fantôme hantant tes rêves, ton coeur, ton être tout entier... un fantôme. Et le nuage te détruira. Petit à petit, même si tu résistes, il réussira. Je ne veux pas ça ! Je ne veux pas que tu te sacrifie tout entière pour... un rêve ! »
« Je t'aime. Tu es tellement... oui, tu es ce qu'il a été et ce que je voudrais qu'il soit de nouveau. Il a changé. Je l'ai perdu... Mais pourquoi est-ce que je dois en plus te perdre toi ? Si tu pars, je te ferai revenir, encore et encore ! C'est injuste ! Même en rêve... tu m'abandonnes ! »
Il me serre un peu plus fort, fourre sa tête dans mon cou, un vent fort se lève d'un coup, il me tient, il me tient, est contre moi, on dirait qu'il veut entrer en moi, vivre en moi.
« Je ne t'abandonne pas. Jamais. Je t'empêche de faire une chose horrible. Si je ne le fais pas, je ne me supporterai plus, je ne pourrais pas...Moi aussi, je t'aime. Mais c'est ce pour quoi tu m'as donné ses traits, sa voix, sa douceur, sa patience, son regard. Pour t'aimer et être aimée en retour. Je ne suis qu'un rêve, Laurine. Un mélange de souvenirs et d'espérances, d'attentes réalisées ou non. Je ne peux pas te décevoir ainsi, je ne suis que ce que tu veux ou voulais de lui. »
« Pourquoi est-ce ma conscience qui doit parler à travers ta bouche ? C'est injuste. Je me sens faible. Si tu pars... je serai autant anéantie. »
Il me regarde à nouveau. Je pleure. Je veux arrêter de rêver. Ca fait trop mal. Même en moi-même, je ne peux pas avoir la paix, me réfugier. Toute cette histoire me poursuit, partout, partout.
« Laisse le temps agir... »
« Ah non ! Ne me parle pas des bienfaits du temps ! Il ne fait pas bien son boulot, il va trop lentement ! Si je veux guérir, c'est tout de suite ! »
« Tout de suite ? »
« Tout de suite ! »
« Bien. Viens. Je vais le faire. Parce que je t'aime. Ne m'en veux pas. »
Je le regarde, le soleil est à côté de nous, l'illumine, m'illumine aussi.
« Je ne t'en veux pas. Tu fais ce qu'il aurait dut faire. Que veux-tu que je fasse ? »
Un sourire frais se dévoile sur son visage.
« Ma princesse est de retour ? Non, ma reine. »
« Profite, j'ai peur de ne pas avoir beaucoup de force pour la faire rester en moi très longtemps. »
« Oui. Quoiqu'il arrive, reste toi. Reste forte. Lion. Reine. Toi. »
« Ca fait beaucoup de choses à être ! Je vais essayer. Maintenant, finissons-en ! Avant que je ne puisse plus... »
« Oui. Viens, sur mon dos, accroche-toi à mes épaules. »
Il se tourne vers le vide, je lui obéis. Dans un souffle nous plongeons, je vole sur son dos. D'ici, l'armée ressemble à une mer noire, et le nuage est encore plus impressionnant de près. Aigle d'Or se pose sur l'herbe à quelques mètres de lui, un mur mauve vivant.
Nous ne nous regardons plus. Je fais le premier pas. Me présente devant le nuage.
« Tu es ce que je ne peux plus rêver. Ce que je ne peux plus espérer et aimer... Nuage, tu ne m'auras pas. Tu convoites un esprit que ne se laissera pas détruire. Prend tout ce qu'il a de Lui en moi... et disparaît ! »
Mes larmes s'entremêlent, je bafouille un peu, mais je mets en chacun de mes mots toute la force qu'il me reste, martèle ces quelques phrases, il le faut.
Le nuage répond par ce grognement sourd et terrifiant. Aigle d'Or est derrière moi, le rideau du nuage s'ouvre de nouveau devant nous, la lumière ne nous aveugle pas, bizarrement. Le nuage a ouvert la bouche, comme s'il allait nous gober. Je serre la main de ce garçon, si beau, qui m'aime, mais qui n'est que le reflet d'un autre. Nous avançons devant le coeur béant d'éclairs du nuage, plus que quelques pas, puis l'herbe s'effacera, et nous franchirons la limite.
Je ne ressens rien de particulier à l'intérieur du nuage, sauf un sentiment d'être complètement déboussolée. C'est le chaos, le chaos qu'on promet à mon coeur et à mon esprit si j'échoue.
Je commence à souffrir. Lui, Lui, Lui, Lui, pas Aigle d'Or, non, son prédécesseur, celui à l'origine de tout, Lui, Lui, Lui, Lui. Partout. Sa voix retentit, mêlées à ses rires, à ses murmures doux, à ses mots qui ont put être secs, à tout ce que j'ai put entendre de lui, tout autour de sa voix. Et maintenant, son visage, son sourire, ses yeux brillants, qui pleurent ou qui pétillent, partout, partout, sa bouche, ses cheveux, Lui, Lui, présent partout dans le nuage, c'est oppressant, je n'arrive plus à respirer.
Aigle d'Or me tient, me soutient, mais je ne peux pas le regarder, ce serait un visage à Lui en plus, encore plus vivant...
Je ferme les yeux, je pleure, je marche courbée, je tremble, je souffre, je souffre.
Mais il m'aide, me porte à moitié, ne parle pas, pleure aussi, nous avançons dans un monde lumineux et angoissant, et le coeur du nuage nous apparaît bientôt, une boule d'énergie bleue, électrique. Nous nous arrêtons devant lui. J'ai l'impression que l'on me tue coup après coup, je sens mon coeur fondre, comme si on lui versait de l'acide dessus.
Le centre bleu acier du nuage boue d'une vie qu'il me faut lui ôter.
Je vacille, je sens mon coeur ralentir, lâcher prise, comme si je mourrais à petit feu, j'ai la tête qui tourne, oui, la mort spirituelle m'entoure.
Avec quoi percer ce coeur ? Je ne sais pas. Ici, je n'ai plus d'idées, plus d'imagination, plus de force, plus aucune détermination. Je tombe à genoux devant la boule d'énergie bleue. Je suis pliée en deux, me tient le ventre des deux bras, tout s'évapore sous mes yeux, j'ai le goût du sang dans la bouche, tout s'en va, tout s'en va...
Aigle d'Or m'attrape les épaules avec force, je lui lance un regard désespéré, dans ses yeux noirs vit quelque chose de puissant. Son amour. Il est là, dans son regard, qui bouillonne, qui vit, qui doit mourir. Le garçon à la peau mat me relève, et me regarde. Dans une de ses mains il tient Lan-Dör, sa lame, que Patte Blanche lui a offerte le jour où elle lui donna aussi son nom. Aigle d'Or... il glisse la lame entre mes doigts, referme sa main sur la mienne qui tient l'épée argentée. Sa pointe d'acier n'est qu'à quelques centimètres du coeur du nuage. Aigle d'Or me fait lever le bras. Je vais mourir.
Nos deux visages sont à deux souffles l'un de l'autre, nos regards sont noyés l'un dans l'autre, nos coeurs vivant l'un par l'autre.
Nos mains vont bientôt s'abattre...
Je ne ferme pas les yeux. Nous nous tenons l'un l'autre.
« Reste avec moi. »
Je n'ai pas ouvert la bouche. C'est tout mon être qui a parlé.
« Reste toi-même. »
Nos mains s'abattent d'un coup sûr et puissant.
Tout disparaît.

***

Je me réveille en sursaut dans mon lit. J'ai chaud, je pleure, j'ai les cheveux sur le visage tout en bataille, j'ai mal au ventre, j'ai la tête qui me tourne plus que jamais, mon coeur me fait mal.
Je me relève d'un coup sur mon lit, les yeux rouges et perdus. Mon coeur bat une mesure trop rapide, je pose une main sur ma poitrine pour le calmer. Je respire par la bouche bruyamment, je pleure, je pleure, doucement, je ne m'en empêche pas.
Mon premier réflexe est d'entrer dans l'imagination. J'y retrouve mon monde, ses paysages que j'ai façonné, le Palais des Murmures où se repose Patte Blanche, tous mes personnages sont là... sauf un.
Je l'appelle, le supplie, il ne répond pas. Je n'arrive pas à voir son visage, à m'imaginer ses traits, tout est flou, il a disparut. Je pleure de nouveau dans mes rêves. Je suis sur une plaine sèche, le soleil brûle la terre et mon visage.
Le désert de sa présence.
Soudain, j'avance, je gémis. Au sol gît une lame d'argent. J'en connais la courbe nette, son aura fine et sûre, et son chant clair.
Lan-Dör.
J'hurle.
Je la saisis, j'ai presque envie de la détruire. Je la serre très fort. Mes larmes perlent son acier argenté. Je regarde tout autour de moi. Le soleil est fort, la terre jaune, nue. C'était là où se trouvait le nuage, tout ce qu'il a détruit, il ne reste que ce désert.
Je fais quelques pas. J'empoigne Lan-Dör des deux mains, lève les bras, et d'un jet, la plante verticalement dans la terre sèche.
Je sors de mon rêve.
Aujourd'hui, ce pan de mon être, aucun de mes personnages n'a osé s'y aventurer, ni aucun être de quelques espèces. Non, lorsque l'herbe verte commence à s'effacer devant des kilomètres et des kilomètres de poussière jaune sous un soleil puissant et brûlant, on ne va pas plus loin.
Personne n'entre dans le Désert d'Or.
Sauf Lui.

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