mardi 29 mars 2011

- Entre Lion et Loup -

Je me suis écouté en boucle ce morceau trouvé avec un ami, et j'ai laissé couler les mots, sans chercher à comprendre d'où l'idée me venait, juste me vider de ce que la musique a fait germer en moi à ce moment-là. Le texte date un peu, du 7 décembre 2010 (d'après mon post sur le Forum d'écriture sur lequel je suis inscrite depuis un an :D).


Voici donc la musique en question :







J'enrage.
Elle m'a quittée.
Parce que je lui fait peur.
Parce que je me fais peur.
Haine.
Haine qui ne vient pas seulement lorsque la Lune est là. 
Envie de sang, de cris, de faire mal plus que de faire peur.
Je serre mes poings blanchis sous la tension, mes yeux se plissent, mes pupilles commencent déjà à se dilater... Les odeurs s'emparent de moi, le monde devient odorat et vision en noir et blanc. Je me sens grandir. Je me sens le devenir.
Une bête.
Monstre de poil gris et de crocs assoiffés d'une rage qui dépasse tout entendement.
Je me laisse faire pour une fois, ne combat pas cet instinct vissé en moi.
J'irais bientôt chanter à la Lune mes exploits de mort.
Elle m'a quittée.
La tuer.
Un grondement sourd émane de ma poitrine.
Je souris.
Sourire déformé par mes dents soudain longues et pointues.
C'est presque fait.
Et eux, autour de moi, se mettent à hurler et à se jeter au fond de la salle. Même pas de véritable réflexe de fuir, ces imbéciles. La porte n'est pourtant pas verrouillée. Classe de cons. Je me lève pour me retourner.
Je me suis retourné.
Elle me regarde.
Pas celle qui m'a quittée ce matin en me soufflant quatre mots ridicules : j'ai peur de toi. 
Non, c'est une autre fille.
Elle est plutôt ronde, de la viande bien fraîche.
Une chevelure roux foncé.
Des yeux pas très droits.
Et pourtant son image m'arrête dans mon mouvement.
Trop longtemps j'ai voulu rester humain. Mais ils n'en valent pas la peine. Ils vous trahissent, ne vous comprennent pas, et finissent par vous rejeter comme si vous étiez un animal dangereux.
Je suis dangereux. 
Mes poils blanchissent, la lumière de la salle sublime ma parfaite musculature canine dressée sur ses pattes arrières, je ne bave pas encore mais toutes ces odeurs sont plus qu'alléchantes...
Elle me regarde.
Regard sûr. Regard qui me comprend. Regard qui lit en moi.
Serait-elle aussi une... bête ?
Elle s'avance jusqu'à moi alors que d'autres derrière elle lui crient de ne pas le faire.
Elle est devant moi et pose une main sur mon poitrail velu, là où se trouve mon coeur, là où il devrait y en avoir un.
Soudain, des mots résonnent moi, sans qu'elle n'ait ouvert la bouche.
"Respire."
Je respire.
"Respire encore."
Je respire encore.
"Ecoute moi."
Je l'écoute.
"Je veux que tu entres à nouveau dans une peau humaine."
Je grogne.
"Qui es-tu pour me l'ordonner ?"
Ma réponse a fusé vers elle. Ma voix est magnifiquement impérieuse.
"Quelqu'un de plus puissant que toi."
J'aboie un rictus méprisant.
"Tu n'es rien du tout. Ecartes toi de mon chemin si tu ne veux pas finir comme les autres."
"Non. Je ne m'écarterais pas."
"Sale petite..."
"Je suis une sale petite humaine qui peut t'arrêter d'un regard, aussi grand et poilu que tu sois. Tu ne m'impressionnes pas. Toi et moi, on est pareils."
Avant que je ne puisse esquisser un geste pour la faire reculer, elle m'emprisonne une fois de plus dans les filets de ses yeux.
Elle lève sa main vers moi, sans brusquerie ni signe d'agressivité envers moi.
Sa main ?
C'est une patte féline qu'elle me présente. Une patte aussi puissante que la mienne, armée de griffes saillantes, et d'une robe aussi claire que celle qui recouvre tout mon corps.
Féline et non canine comme moi.
"Tu es un Loup Blanc. Moi, un Lion Blanc."
"Si tu crois que tu..."
"Les Loups Blancs apparaissent toutes les milles Lunes. Soit à l'arrivée d'une Lune Dorée. Ils sont désignés pour être les meneurs des Meutes de tous les autres Loups. Ils sont les seuls à pouvoir maîtriser leur métamorphose. Et à faire en sorte ou non de maintenir un équilibre entre les races."
"Et les Lions Blancs ?"
"J'apparaît à chaque Soleil Lunaire, un soleil blanc comme la Lune. Je suis la dernière de ma lignée. Je veille sur ceux de mon espèce et combat mes ennemis jusqu'au dernier."
"Qui sont tes ennemis ?"
"Les Loups."
J'hurle et sors les griffes, elle n'a pas réagi d'un poil.
"Tu es venu me tuer !"
"Non."
"Alors qu'est-ce que tu attends avec ton baratin ! Viens, bats toi, je vais te faire sentir ce que le mot douleur veut dire !"
"Non, je ne me battrais pas avec toi. Ni avec aucun autre Loup."
La curiosité prend le dessus. Merde, pourquoi a-t-elle un tel pouvoir sur moi rien qu'avec des mots ! Des mots qu'elle me donne et qui font partir ma rage, malgré moi... Rends-moi ma rage, sorcière !
"Cette guerre ancestrale n'a aucun sens. Nous nous sommes déchirés sur tous les territoires, avons bâtis un mur de haine entre nous et aujourd'hui regarde, il ne reste plus que nous deux."
Un silence.
Je réalise que je suis Loup, dressé sur ses pattes arrière, prêt à tuer quelques minutes plus tôt, les élèves sont toujours recroquevillés contre le mur du fond à pleurer ou gémir, et elle, me regarde, m'envoûte, elle avec sa patte de lion et son coeur humain que j'entends battre à travers sa peau.
Il bat doucement.
Elle n'a pas peur de moi.
"Qu'est-ce que tu veux..."
"Te faire un cadeau pour que la paix un jour soit possible."
"Qu'est-ce qui me prouve que tu ne te fous pas de moi ? Pourquoi devrais-je te..."
Sa patte de lion s'est posée à nouveau sur mon poitrail. Fourrure contre ses coussinets endurcis par le temps et les épreuves.
Je me noie dans ses yeux.
La haine disparaît. Volatilisée. 
Je suis calme.
Sa patte redevient main et avec elle mon corps redevient humain.
Jamais je n'ai pu redevenir humain avant d'avoir assouvi ma soif de sang.
Et me voilà redevenu lui, cet adolescent moitié homme moitié loup, nu et qui s'en contrefiche. Mes yeux turquoises brillent entre mes mèches brunes, je suis grand et puissamment bâti, un corps d'athlète.
"A travers moi, tu deviendras le vrai Loup Blanc. Capable de maîtriser ce qu'il est, pour l'être pleinement. A travers moi, tu retrouveras la mémoire des Premiers Âges. A travers moi, tu te trouveras et tu me retrouveras. A travers nous, nous réinstaurerons l'équilibre."
"Je ne veux rien de toi."
"Je sais."
"Alors pourquoi ?"
"Parce que bientôt tu comprendras. Parce que bientôt tu accepteras le fait que ta vie pour l'instant n'est que l'ébauche d'un cauchemar éveillé, que des êtres comme nous ne peuvent vivre dans ce monde, et s'ils y parviennent, c'est seuls. Parce que tu vas bientôt comprendre que nous sommes liés depuis cette Aube et ce Crépuscule qui nous ont mariés. Soleil et Lune. Lumière et Ombre. Jour et Nuit. Parce que bientôt, tu t'avoueras que tu m'aimes. Parce que... je t'attends. Je t'attends depuis que je suis ici. Je t'attends depuis toutes les éternités. Parce que je suis la source des Mots et tu es la source des Silences. Parce que je n'a pas peur de toi. Je n'aurais jamais peur avec toi."
Un vertige monstrueux m'assaille. J'ai envie de tomber en arrière, fermer les yeux pour les réouvrir et me dire que ce n'était qu'un rêve d'espoir chuchoté par une part lumineuse de moi étouffée jusqu'ici.
Le monde n'existe plus.
L'autre n'existe plus, celle qui m'a quittée là, je n'y pense plus.
Je ne pense qu'à elle.
Je ne suis...
Qu'un homme. Qu'un loup.
Perdus.
"Respire."
Je respire.
"Respire encore."
Je respire encore.
"Ne dis rien."
Je ne dis rien.
"Suis-moi."
Je la suis.
Comme depuis toujours.

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