samedi 5 mars 2011

- Les Courbes, les Rêves et le Ciel -

Ceci est une nouvelle que j'ai écrite pour Nathan il y a déjà plusieurs mois. Peut être donnera-t-elle un jour lieu à quelque chose de plus... long. ;)









Silence sur les courbes du vent qui caresse l'herbe du jardin.
Silence sur la lumière pailletée de la rosée du matin.
Silence sur son cœur qui bat au rythme de l'esprit serein.

***

Nathan est assis sur la pelouse, les yeux fermés. Tout le monde dans la maison dort encore, il s'est réveillé malgré lui avec l'étrange impression de devoir sortir de chez lui. Aller écouter le lever du soleil, le voir faire triompher le jour, même s'il doit être un peu plus que cinq heures du matin. Il n'a pas sommeil, il est en paix, en éveil.
Les oiseaux hésitent encore à chanter le début de la journée, Nathan les entend au passage, l'écho de leurs voix s'évaporant doucement dans le ciel de l'aube.
Le garçon ne sait pas pourquoi, mais il attend quelque chose. Quoi dont ? Il ne le sait pas non plus.
Il fait silence et continue de garder les yeux fermés. Son ouïe s'affine et devient son regard sur le monde : le bruissement de la brise sur l'herbe, les insectes toujours en mouvement, un chien qui aboie au loin, une voiture solitaire passe dans une rue, peut être les éboueurs...
Un pas dans la pelouse.
La terre a résonné jusqu'à lui, et ses oreilles lui indiquent que l'on avance vers lui lentement. Il ne ressent aucun danger et ouvre lentement les yeux. 
C'est une petite femme. Habillée d'une toge pourpre, dont les pans épousent des reflets chatouillés de lumière qui attirent l'œil, elle doit avoir plus de soixante dix ans, la peau marquée par le temps, elle marche courbée et une courte chevelure blanche lui barre le front et la nuque. 
Nathan lève les yeux jusque dans son regard. Des billes douces d'un bleu ciel éclatant le cueillent.
La paix du matin vit dans les yeux de la vieille femme, qui s'arrête et s'assoit en tailleur devant lui, un sourire confiant sur les lèvres.
Sans rien dire, elle tend le bras vers lui, le poing fermé sur un objet droit et pointu.
Nathan tend à son tour la main, paume ouverte, sans chercher à comprendre.
Juste chercher à vivre.
La femme lui offre l'objet.
Un crayon.
Un simple crayon.
Le manche est fait d'un bois dur et peint en vert.
La mine est taillée à la perfection, une longue pointe droite et noire.
« Sais-tu pourquoi je te donne le noir ? »
La voix de la femme fait corps avec celle du matin, et résonne en lui comme l'eau d'une rivière.
« Parce que le noir n'est que le résultat du mélange de toutes les couleurs. »
Un sourire approbateur.
« Avec le noir tu délimites le monde des courbes, tu noies les autres couleurs ou te les fait vivre en les faisant danser autour de lui. Le noir se marie avec toutes les autres couleurs. »
« Pourquoi ce crayon en particulier, madame ? »
« Parce que c'est avec lui que tu apprendra à trouver le chemin des courbes, des rêves et celui du ciel. Avec lui tu apprendra à lier ces trois mondes. »
Nathan baissa à nouveau les yeux sur le crayon, qui a l'air si banal entre ses doigts et pourtant, il ne peut pas nier ce petit aura qui l'entoure. Cette impression de le retrouver et non de le découvrir.
La femme se relève sans rien ajouter, laissant Nathan coincé entre incompréhension et acceptation. Alors qu'elle se met déjà en marche mais lentement, le garçon la retient d'une question :
« Qui êtes-vous ? »
La vieille femme se retourne, une flamme malicieuse dans le regard.
« Je suis celle que l'on oublie souvent. Celle qui réchauffe les cœurs ou qui hante les esprits. Je suis celle qui rend parfois visite sans prévenir, celle qui marche à vos côtés en silence, faisant partie du puzzle de vécus qui font que vous êtes vous. »
« Je ne comprends pas. »
Un silence. Le soleil vient de percer la barrière du toit de la maison et se met à illuminer ses cheveux blancs, sa peau parcheminée et ses yeux dans une douce lueur d'or.
« Je ne suis qu'un souvenir. Prends soin de toi, Danseur des Courbes. »
La lumière s'intensifie. S'empare du corps de la vieille femme, la fait devenir elle, et se laisse éclore.
En un millier de bulles de lumières dorées, le souvenir disparaît pour s'évaporer vers le ciel.

***

Nathan est assit à son bureau.
Le crayon est couché sur une feuille vierge, inerte.
Le garçon n'ose pas. 
Il sent l'appel de la courbe, l'appel de la couleur noire, l'appel du dessin, là, tout près.
Mais quelque chose le bloque. Pas de peur en lui, non, un ressenti logé au fond de lui et qui ne veut pas partir. 
Il se lève et se laisse guider par son instinct. Il prend avec lui le crayon et un carnet de croquis, dont l'usure familière le rassure. Il sort de la maison alors que personne n'est encore levé. Cela fait une heure que le souvenir a disparut. Il était resté un long moment perdu, sans savoir quoi faire ou dire, puis, comme si la réalité ou le rêve avait trouvé sa juste place lui, il était retourné dans sa chambre.
Il marche dans la rue, couvert d'une veste, ne fait pas attention à la route ni au trottoir.
Les étoiles se sont effacées du ciel et l'aurore laisse place au jour.
Arrivé à l'angle d'une rue qu'il ne connait pas vraiment, il s'arrête et s'assoit sur le rebord de goudron, seul. Le carnet de croquis sur les genoux, il tient le crayon à la main, suspendu au dessus de la feuille.
Le blocage est toujours là.
« Ce n'est pas sur la feuille qu'est ma place ! »
Les crayons ne parlent pas, assurément. Mais les consciences peuvent traduire pour eux, parfois.
« Où alors ? » se répond-t-il à lui même.
« Là haut, en bas, ici, à côté, à gauche et à droite, où tu veux, mais pas sur la feuille. »
« Sur le trottoir par exemple ? »
« Oui, si tu veux. »
Nathan approche la mine noire sur le goudron. Il hésite un instant puis, trace un trait fin sur le sol.
Il ne se passe rien de notable à part une légère marque noire sur le gris du trottoir. 
« Vas-y, continue, essaie en l'air. »
« En l'air ? »
« Oui, dessine dans l'air. »
Nathan reste un long moment interdit avant de lever la main devant lui, la mine droite et fine, prête à suivre toutes les courbes qu'il lui proposera de créer.
Le garçon se lève.
Un trait. Puis deux. Puis trois. Dans l'air, comme s'il battait un temps un invisible ou qu'il traçait devant lui des formes que lui seul pouvait voir, le dessin s'approche mais on ne le voit pas.
Mais dans ses yeux à lui le crayon dessine quelque chose de vrai.
Les traits noirs se rejoignaient, dansaient ensemble, courbes arrondies, éclats noirs appuyés, zones d'ombres ou d'autres plus claires.
Le ciel.
Cette immensité aux couleurs sanguines, si loin et si proche à la fois.
L'atteindre avec les courbes et le noir.
Nathan pense, conduit le crayon, fait danser les courbes et invite le dessin à apparaître, sans l'obliger à être prédéfini, non, le garçon aime être surpris.
La silhouette a prit forme et l'air, devenu support, se laisse faire.
La réalité a-t-elle été trahie ?
Le rêve s'est-il au contraire enfin ouvert ?
Nathan dessine vers le ciel.
Courbes noires.
Le matin chante désormais.
Et la lumière devient or et blanc.
Nathan s'arrête.
Observe, opine d'un air satisfait.
« Parce que c'est avec lui que tu apprendra à trouver le chemin des courbes, des rêves et celui du ciel. Avec lui tu apprendra à lier ces trois mondes. »
Devant lui, une hirondelle faite des couleurs du ciel de l'aurore s'envole vers celui du jour.
Libre.

***

Silence du vent dans toute la rue,
Silence d'un jour mis à nu,
Silence d'un cœur et d'un esprit émus.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire